JOUY en JOSAS
Jeudi 24 août 1944
Sous-Groupement MINJONNET
88 Flak allemand et ses servants
24 août. — Ordre pour ce jour-là : «S’emparer de Paris…»
Les colonnes s’ébranlent au petit jour dans la pluie.
Les deux groupements ne se réuniront plus que le lendemain au rond-point des Champs-Elysées. Pour suivre avec le Général celui du colonel Billotte, qui, en défilant par Limours et Arpajon, va rejoindre la grand’route d’Orléans, nous devons d’abord nous dégager des arrières du colonel de Langlade, dont les têtes débouchent dans la vallée de Chevreuse.
Accompagnées par un jeune Parisien venu nous réclamer la veille, Armand Bussard, ces dernières vont traverser Toussus-le-Noble, où elles cueilleront 400 boches, débouchés sur le plateau. Il faudra bien aborder quelque part la ceinture des 88 : là ils sont une demi-douzaine, épaulés par leurs mitrailleuses Flak.
Tandis que Minjeonnet déborde, Massu attaque : il perd deux chars, un qui redescend à la dérive la côte qu’il vient d’escalader et qu’il doit canonner pour qu’il ne retombe pas en flammes sur la colonne. Son artillerie, le groupe Mirambeau, assomme méthodiquement les positions qui se sont maintenant dévoilées. Massu passe. Il est déjà 11 heures.
A Jouy-en-Josas, après avoir retrouvé Minjeonnet, il franchira la Bièvre presque sans s’en apercevoir, puis traversera de part en part le terrain de Villacoublay ; parallèlement à lui, aux lisières du bois de Meudon, on verra se hâter les chars allemands.
A Clamart, un dernier barrage s’interposera entre sa hâte et toute l’agglomération qui l’attend.
Au matin, tout ceci n’est encore qu’en puissance. Nous déboîtons les derniers véhicules, déjà anonymes dans leur routine du combat, et prenons notre rocade.
Billotte, lui, a rencontré les premiers antichars devant Longjumeau, délogé une centaine de boches qui occupaient un petit côteau à gauche de la route. Il aborde la position principale, appuyée sur les deux chemins de Massy et de Wissous qui relient Palaiseau à Orly : une douzaine de 88 les garnissent, protégés par un dispositif continu.
Le colonel Warabiot manœuvre Wissous par la droite, livre un combat dur, tandis qu’à gauche Buis pénètre le dispositif, a l’impression un instant qu’il perce, mais doit se rabattre sur la Croix-de-Berny, où se révèle la troisième résistance.
Il est maintenant midi passé, le temps commence à s’éclaircir. Quelques mines truffent la route. Plusieurs centaines de prisonniers refluent en colonnes sous la garde des F.F.I., qui les parquent pour nous dans ces garages que connaissaient bien les amateurs de week-end.
Le 24 août 1944, vers 7 heures sous une forte pluie qui dura toute la journée, le Groupement tactique Langlade se met en route.
Il comprend dans l’ordre : Sous-groupement Massu, PC Langlade, Sous-groupement Minjonnet.
L’itinéraire prévu traverse Cernay la Ville, Choisel, Chevreuse, Saint Rémy, Cressely, Châteaufort, Toussus-le-Noble, Jouy en Josas, Villacoublay, Clamart, Meudon, Pont de Sèvres.
Dès leur arrivée sur le plateau de Toussus-le-Noble, les chars de Massu sont pris à partie par les canons de 88 mm du Fallschirm Flak Regiment 11.
Le major Scheloske, commandant le 2e bataillon, a positionné ses batteries antiaériennes reconverties en antichars près de la ferme du Trou Salé.
Les chars « Dauphiné » et « Barfleur » sont touchés presque simultanément, trois membres d’équipage sont tués.
Sur la droite, progressant vers les Loges à travers un terrain vallonné et détrempé, le Sherman « Ardennes » est touché par deux obus de 88.
L’équipage parvient à quitter le blindé. Un canon allemand est néanmonis détruit près de la ferme au bord de la route de Buc.
L’assaut de la 2e DB est brisé, plusieurs chars ont été détruits et la progression s’avère délicate voire impossible d’autant plus que des renforts allemands sont aperçus dans le secteur de Vélizy. Le sous-groupement Minjonnet du Groupement tactique Langlade est envoyé en renfort.
Débordant le plateau de Toussus, les blindés du 4e escadron foncent à travers champs vers Saclay.
L’infanterie allemande se retire vers l’étang de Saclay. Les combats se prolongent aux Loges-en-Josas et permettent de dégager la voie vers Jouy.
Après avoir encaisser la première attaque, le major Scheloske replie son dispositif sur une deuxième ligne en retrait sur les hauteurs de Jouy.
La 2e DB remonte alors à l’attaque.
Les hommes de Massu investissent alors Jouy puis reprennent leur progression en direction de Clamart.
Fabrice Bourrée, Bruno Renoult
http://www.museedelaresistanceenligne.org/media4530-Les-combats-de-Toussus-le-Noble#fiche-tab
7 ANS AVEC LECLERC
A 8 h 15, après un nettoyage rapide des bosquets à la sortie de Dampierre, Châteaufort est atteint.
La 6e compagnie est en avant-garde : deux sections sur chars, un groupe sur les jeeps de la « reconnaissance », une section sur half-tracks. En sus de la Compagnie d’Accompagnement, elle bénéficie de l’appui de l’escadron Coupé, de la batterie de 105, du peloton de tanks-destroyers et de la section du Génie.
Nous repartons et, à la sortie de Toussus-le-Noble, la route ayant été détruite, l’avant-garde est obligée, sous une pluie violente, de se déplacer à travers champs.
Une forte résistance se dévoile : deux de nos chars moyens sont détruits. Nous sommes pris à partie par des 88, nous semble-t-il, mais pas du tout résignés à stopper. Bien au contraire. Chacun d’entre nous s’ingénie au meilleur usage de ses armes, le plus rapidement qu’il le peut.
Cependant le colonel de Langlade donne l’ordre au sous-groupement Minjonnet, qui me suit, de déboîter de l’axe sur ma droite, de s’emparer de Jouy-en-Josas et de déboucher sur le plateau de Villacoublay. C’est offrir à ma 7e compagnie, Infanterie de ce sous-groupement, sa chance très méritée d’entrer victorieusement la première dans Paris.
Sûre d’elle, la compagnie Fonde saisit cette occasion « aux cheveux » et fonce avec l’ardeur habituelle aux hommes des lieutenants Guigon et Maret, appuyés par les pelotons de Sherman, Miscault et Zagrodski. Malheureusement l’action coûte cher à ces vaillants et leur capitaine, le courageux Fonde, est blessé à la cuisse. C’est Ivanoff qui prend sa relève sur-le-champ, au carrefour de l’Homme Mort, conquis et nettoyé par la 7.
Mes subordonnés directs, de leur côté, soutenus par tous les 105 de Mirambeau, ont fait tant et si bien à Toussus-le-Noble que le passage est forcé, que trois pièces allemandes (75 de D.C.A. — DCB), un char et plusieurs véhicules sont détruits en quelques minutes et qu’environ 25 prisonniers tombent entre nos mains. L’ennemi abandonne plusieurs blessés. Il est 15 heures. Cependant que l’artillerie allemande bombarde le gros de ma colonne, je pousse mon avant-garde, mais il pleut à torrents depuis le matin ; la route, crevée de nombreux trous d’obus,est inutilisable : il faut passer à travers champs en s’embourbant et l’on perd du temps.
A Les Loges-en-Josas, une automitrailleuse allemande est mise en flammes par un coup de roquette-gun. Une dizaine d’Allemands sont capturés. Vite, toujours plus vite, c’est la course vers Jouy-en-Josas. Il continue à pleuvoir, les combattants sont mouillés jusqu’aux os et grelottent.
Jouy est traversé à près de 40 km à l’heure. Par contre, dans le bois, il faut stopper. La 7e compagnie est sérieusement engagée, il s’agit de l’aider à sortir de là, la remplacer et continuer la marche en avant. L’artillerie ennemie, quelques canons de 20, arrosent copieusement le carrefour. Cachés derrière les arbres, de chaque côté de la route, les fantassins allemands tiraillent abondamment mais, heureusement, mal : nos pertes sont légères. Le capitaine Langlois progresse à pied avec deux sections qui délogent les derniers adversaires. La route est libre sur plusieurs centaines de mètres, en direction de Villacoublay. Au nord, en lisière du bois de Vélizy, quelques blindés allemands décrochent.
Le soleil parvient enfin à trouer les nuages et vient opportunément réchauffer quelque peu les combattants, ramenant la gaieté dans les yeux fatigués.
Sur le capot de ma jeep, Langlois, refusant de tenir compte d’une légère atteinte par éclat, son adjoint Vigneux et mon « bras droit », Philippe, partagent hâtivement avec moi les boîtes de conserves ouvertes par mon chauffeur Hipp, toujours prêt à nous faire profiter de la moindre halte pour nous restaurer. Ses origines de gitan, qui donnent à son visage en lame de couteau et à ses yeux de braise une personnalité étrange, font de lui un auxiliaire précieux de mon existence nomade.
En avant… La petite agglomération de Le Clos est rapidement explorée. Les fantassins de la 6 remontent sur les chars et les jeeps et vers Villacoublay la colonne fonce à nouveau. Le passage à niveau est fermé : d’un coup au but bien placé, un char détache le contrepoids de la barrière, qui se relève. Un cri de joie accueille cet exploit.
Lancés en reconnaissance entre Villacoublay et Bue, le chef Guillemin et le caporal-chef Bernadicou se trouvent face à une jeep venant de la direction de Bue. Prudemment, ils la mettent en joue et s’emparent de deux parachutistes allemands qui avaient dérobé le véhicule d’un officier d’artillerie. Cela ressemble à un western !
La course en avant reprend. Les fantassins, montés sur chars, s’accrochent de crainte d’être projetés à terre. Nos blindés doivent se frayer un passage parmi les jeeps de reporters américains qui viennent d’arriver et voudraient nous dépasser. Au loin la fusillade crépite et les arrières de la colonne reçoivent des projectiles de l’artillerie ennemie.
Au rond-point de Clamart un tank-destroyer met le feu à une voiture allemande chargée de munitions qui explosent en faisant un joli feu d’artifice. Pendant que les civils démolissent une barricade de pavés pour nous laisser passer, les journalistes américains provoquent l’hilarité de nos hommes. Si pressés tout à l’heure, ils sont maintenant étendus sous leurs jeeps, le nez contre terre, effrayés par les détonations des munitions en flammes.
Aussitôt le passage libre, l’avant-garde s’engouffre dans Petit-Clamart. Mais la progression est bientôt ralentie car les civils ont abattu tous les arbres de la rue et sont consternés de constater qu’ils retardent ainsi notre avance. Aussi hommes, femmes, enfants, avec des « Oh ! hisse ! » bien rythmés, enlèvent-ils les obstacles les uns après les autres tout en nous prodiguant leurs encouragements les plus passionnés.
La route enfin ouverte, nous fonçons vers Paris. Les visages de tous ceux qui nous voient passer s’éclairent d’une joie folle et ils trépignent d’excitation : « Des Français, des soldats de Leclerc !… » Que de fleurs, d’accolades ! Nous voici dans Meudon où des drapeaux surgissent de tous les côtés. Progressivement se profilent au loin le Sacré-Cœur, Notre-Dame, la Tour Eiffel… Les cœurs battent ! C’est à qui voit ou croit voir un monument de Paris !
Mais l’ennemi s’est embusqué sur les hauteurs environnant Sèvres et dans l’île Saint-Germain, un passage à découvert est sérieusement mitraillé, quelques civils sont blessés. Déjà nous éprouverons la folle témérité de ceux que la joie et l’enthousiasme poussent vers nous alors que la bataille se poursuit…
Témoignage
Pendant ce temps, Amenta a déposé le capitaine dans une boulangerie, en face de l’église dépassée une heure auparavant. Une civière miraculeuse surgit avec un médecin civil — le Dr Kurzenne — qui pose un garrot, injecte morphine et huile camphrée, esquisse une moue à la vue de la blessure qu’il n’ose toucher. Il parle d’évacuation sur l’hôpital de Versailles…
– Amenta, fais sortir cet individu. Ne me laisse pas emmener…, gronde La Bagarre qui délire mais se souvient que Versailles est encore allemand… Et puis, vous autres, foutez le camp, rejoignez Ivanoff et Maret en vitesse…, ordonne-t-il à Jamot, Bieder et ceux de la3e section, encore à Jouy, qui le contemplent, consternés.
Une ambulance arrive enfin et évacue le blessé sur l’école où s’installe le poste de secours des médecins, lieutenants Prat et Touati. Guichard est déjà là. Mais on hésite à l’évacuer…
– Son état est très grave et je me demande s’il supportera le transport jusqu’à l’hosto…, murmure Prat.
La Bagarre ainsi informé attend aussi très longtemps, comme Guichard. Et les yeux fermés, il s’ausculte de l’intérieur, inquiet tout de même, sans vouloir se l’avouer.
–
LA CHANCE EST PASSÉE…
Au carrefour de l’Homme-Mort, la 2e poursuit le nettoyage avec la 3e qui a rejoint. Une patrouille est poussée en direction de Versailles. Et la fusillade reprend sur un groupe ennemi qui cherche à se replier vers Meudon et la Seine. Le caporal-chef Mohamed ben Driss atteint d’une balle au ventre est tiré à l’abri par Sanglebeuf, un des engagés
en Normandie.
Ivanoff est là. Il a pris le commandement et essaie »d’ordonner la confusion, rameutant la section Guigon et les derniers équipages encore englués au centre de Jouy. Le soleil jaillit des nuages et il pense à la relance sur Paris. Mais c’est trop tard. La chance est
passée…
Le sous-groupement Massu débouche des lacets où l’ennemi tiraille encore. Il a surmonté les obstacles de Toussus-le-Noble et des Loges-en-Josas, détruisiant plusieurs blindés et canons, capturant une trentaine d’ennemis. Et maintenant il reprend sa place en tête du groupement. Ses reconnaissances parcourent la RN 186, le Clos, l’aérodrome de Villacoublay. L’une d’elles intercepte deux fuyards dans une jeep marquée de l’insigne de la division. C’est celle de l’officier d’état-major assommé vers le Petit-Viltain. Mais toute résistance organisée ennemie a cessé. Alors Massu repart en ouragan vers le pont de Sèvres, par le Petit-Clamart et la forêt de Meudon, II est 16 heures. La rage au cœur, la Meute se voit dépossédée des fruits de son audace alors que la vallée de la Seine et Paris, l’éblouissant mirage des longs mois d’entraînement, sont danslebas,à portée de la main. Elle reçoit mission de tenir sa conquête et le carrefour du Petit-Clamart, tout le temps nécessaire au passage de la totalité du groupement. Mission dérisoire qui rend plus amère sa déception.
La lre de Guigon rejoint avec ses voitures. Et la 3 de Jamot, avec le peloton Dufour — celui-ci, blessé, vient d’être remplacé sur Y Armagnac //par son second, R. Velut — s’éloignent vers le Petit-Clamart,
7e compagnie et 4e escadron se regroupent peu à peu. Autour du Zagrodski II marqué de taches de sang, s’agglutinent hommes, femmes, enfants en délire des villages des alentours… Jouy, Les Metz, Villacoublay, Vélizy, le Clos…
Soudain un sifflement bref suivi d’une explosion bruyante sur la chaussée de la route nationale trouble la fête. Tous s’allongent à plat dans les fossés et les broussailles. Sur un geste de Guigon, Ramun-tcho-Duc fonce à travers bois vers le 88 suivi des hommes de son groupe, Schmidt, Antoni, Hunter…
Le canon ennemi tire à nouveau. En rampant Duc s’approche il trente mètres, élève le buste, repère le monstre et son tracteur.,,
— Fais vite, charge…, dit-il à Schmidt qui l’a suivi avec le sac de rockets.
Puis il se dresse, le bazooka à l’épaule, se fige, jambes écartées, pointe et tire… en même temps que l’Allemand. Le boulet rouge lui passe littéralement entre les jambes tandis que, sous l’impact du rocket, le bouclier gauche du 88 vole en éclats…
— Vite, charge…
Le second rocket part aussitôt, enflamme le tracteur. Sans insister, les enragés s’enfuient à travers bois, couverts par Duc, toujours lui, qui vide le chargeur de son coït en direction de l’incendie. L’instant suivant, il pense à lui. Le fond de sa combinaison est arrachée! l’intérieur de ses cuisses porte, très haut, des traces de brûlures.,,
— Eh ben… Eh ben… Toi, tu peux dire que tu as la baraka…, bredouille Antoni, le souffle coupé.
Du carrefour, des patrouilles reprennent l’exploration des environs à plus longue distance. Des rafales crépitent ça et là, de plus en plus espacées. Tout à coup, un 88 encore, avec son tracteur, débouche des bois de Jouy en pleine vue du carrefour et empruntant un moment la Nationale s’engage dans la direction de Viroflay. Franchi se précipite, fait décrocher et mettre en batterie le 57 de la 2. A moins de 200 m, Hechsler ajuste, tire, fait mouche. Le tracteur prend feu. Il est 17 heures. Un fort bouchon s’établit sur la route de Versailles. La guerre se tait. Alors dans la foule en fièvre, éperdue de gratitude et d’admiration, toute retenue disparaît. C’est un déchaînement de rires, de chants, de danses, d’embrassades. En cet instant, pour ces Français, l’affreux cauchemar de quatre années, la défaite, l’humiliation, l’occupation, les privations, la guerre même, sont oubliés. Et lorsque, au début de la nuit, les cloches de Paris s’ébranlent les unes après les autres, les clameurs du carrefour de la RN 186 ajoutent à l’immense rumeur de la capitale. A ce moment pourtant, à Jouy et aux environs les résistants en patrouille collectent des prisonniers et les canons allemands tirant du Cerf-Volant et des hauts de Saint-Cloud, tuent cinq civils dont deux femmes et en blessent neuf.
Vers 23 heures, les derniers éléments du G.T.L. étant passés, la Meute se regroupe au carrefour du Petit-Clamart. Jamot y a intercepté plusieurs motos et voitures de liaison allemandes égarées, pour leur malheur. Depuis, la guerre s’est tue, là aussi. Et la foule crie sa joie aux étoiles.
La fête durera jusqu’au matin. Hommes, femmes, enfants ne veulent perdre aucune seconde des heures enivrantes qu’ils vivent. Étroitement mêlés à leurs libérateurs pourtant las, ils resteront avec eux jusqu’à leur départ, à l’aube. Celle de l’inoubliable journée du 25 août 1944.
Les chars de la 2ème DB, couverts de bâches rouges fluorescentes, arrivant du côté de la mairie et se dirigeant vers la gare ; c’est ce rouge flamboyant qui reste gravé dans la mémoire. Sentiment de peur et de frayeur des civils : «et nous», avec la peur de l’abandon.
La permanente incertitude de ce qui se passe, la peur de ce qui va arriver.
Une rumeur court de bouche à oreille que «dans la Côte de l’Homme Mort il y a eu bagarre». Effectivement, on tire de ce côté, c’est là-bas que le capitaine Zagrodski va trouver la mort. Et brusquement deux obus qui éclatent, des chars qui se renversent, les gens couchés parterre, les vitres volent en éclats, tout paraît brûler, c’est l’enfer, c’est l’angoisse.
D’autres chars arrivent de Châteaufort et prennent la route qui va du Petit-Jouy à Versailles, c’est là qu’est décédé le fils Lesieur (huile bien connue). D’ailleurs, l’un des «tigres» (chars) est resté couché sur la route du Petit-Jouy où les habitants et les enfants vont aller l’admirer ultérieurement. En fin de journée arrivent les chars américains et des camions conduits…. Par des français. Quelle surprise !
Le docteur Kurzenne décide que, pour la première fois , la famille va passer la nuit dans la cave. Grande frayeur devant des tirs d’artillerie continus, sans arrêt, le sentiment de ne «pas savoir» ce qui se passe dehors, les allemands dans les bois, peur, incertitude.
Et puis, le lendemain matin, grand silence, les allemands partis jusqu’à entendre les vrombissement des chars résonnant amplifié après ce silence. Le docteur est occupé à soigner les blessés, avec, à ses côtés, la fidèle Angèle Moye, son infirmière ; Mme Vantieghem est blessée, par éclats d’obus, dans la soirée, le Dr Kurzenne l’emmène personnellement, avec son vélo, le brancard attaché, à l’hôpital de Versailles (il s’était fait adapter tout spécialement un brancard pouvant être attaché à son vélo afin de pouvoir transporter ses malades).
Extrait des souvenirs de Pierre Kurzenne (né en 1930)
Mémoire
Mémoires de Gérard Clerc (né en 1924)
(Il habitait dans le parc du Grand Château de Jouy (actuel domaine HEC))
24 août 1944
8h00 : Ils sont encore 7 à 8 «boches» dans le château. Des ordres sont criés, affairement des soldats. Ils s’en vont avec leur fusil ? Serait-ce déjà la Libération ???
8h20 : Tout à coup, des explosions retentissent du côté de la gare du chemin de fer : 8, 10, 15 20 ??? toutes très violentes. La peur nous tenaille tous ! D’immenses flammes jaillissent maintenant du côté du Grand Château : explosions sur explosions… C’est l’enfer !
9h-9h45 et jusqu’à 11h : L’enfer continue. Maintenant ce sont les châteaux. Celui du Petit Bois saute et brûle. Puis celui du Montcel. Les détonations se succèdent, il y a des retombées d’éclat partout. L’enfer continue.
11h30 : Accalmie ! Les dynamitages semblent prendre fin.
11h40 : Un camion militaire allemand est entré par la Grille d’Honneur, dans la propriété.
13h20 : Nous sommes tous dans la cave de l’Orangerie, dans l’attente de l’explosion du Grand Château.
13h25, 30, 35, 40 : Rien… rien, ne saute… Finalement, nous revenons chez nous. Et tout à coup, c’est frappant, un calme écrasant se fait. Il ne semble plus y avoir de bataille. Dans la rue, des voix allemandes vocifèrent, crient des ordres.
13h55 : Avec Philippe ; perchés sur le mur surplombant la rue, nous regardons, écoutons, scrutons. Tout à coup ; nous apercevons des soldats. J’aperçois la Croix de Lorraine sur le casque de l’un d’eux. Je crie à tue-tête : «Les Voilà, les voilà !». Je suis fou, fou… Ils sont là, et ce sont des français, ils parlent français !
Les chars débouchent de deux endroits simultanément, venant de Saclay, où la bataille faisait rage tout à l’heure, et des Loges-en-Josas. Nous n’avons pas attendu pour descendre de notre perchoir. On est fous… fous de joie ! Nous courons les voir : ce sont des Français de l’Armée Leclerc ; comment est-ce possible ? Déjà la place du village est pleine de monde, tout s’y mêle, chars, automitrailleuses, Dodges… On grimpe sur les chars, on parle aux soldats. Un soldat monte sur le faîte de l’Eglise et hisse un drapeau français.
14h20 ou 14h30 : Bien sûr la bataille a été dure, tant dans la côte de Versailles que dans les bois de l’Homme Mort. Elle coûta la vie à 21 soldats des 2 camps et 5 chars de l’Armée Leclerc durent détruis.
25 août 1944
12h à 17h : L’ après-midi est consacré à récupérer les vivres encore consommables, après de dynamitage du Petit Salon. Ils sont portés à la mairie, pour être distribués aux habitants de la commune qui manquent de tout.
Au dîner : Nous sommes tous muets, fourbus, «écrasés de fatigue» à cause d’évènements si forts. Et voilà que je me rends compte que c’est le premier jour où je n’ai pas eu à présenter mon «Ausweis» (laissez passer) à une sentinelle allemande pour pouvoir circuler. Bien sûr, ces journées allaient marquer nos esprits pour toujours. Mais sur le moment, une seule chose importait :
JOUY ETAIT LIBRE ! JOUY ETAIT EPARGNE, marqué, bléssé mais LIBRE !
Finis l’occupation, les Boches, les brimades, les représailles… c’était fini !
Contexte historique
Contexte historique service historique de la défense
De son propre chef, le général Leclerc décide le 21 août d’envoyer vers Paris un fort détachement de reconnaissance, dirigé par le commandement de Guillebon. Il en sera réprimande par son supérieur le général américain Gerow. Le détachement de Guillebon se compose de 10 chars légers, de 10 automitrailleuses et de 10 véhicules blindés et est constitué d’environ 150 hommes. Il démarre le 21 août à midi. Il a pour mission d’éviter tout contact avec les troupes américaines ce qui implique qu’il devra par lui-méme se rendre compte de la situation des troupes allemandes. En fin d’après-midi, il a atteint Nogent-le-Rotrou. De là, il divise son détachement en trois éléments qui vont respectivement avancer :
> vers Dreux et Houdan.
> vers Rambouillet.
> et vers Chartres, Ablis et Dourdan.
Les renseignements recueillis, soit auprès des organisations de la Résistance, soit auprès des éléments dont il est question ci»dessus, amènent de Guillebon à la conclusion qu’une attaque frontale par les routes directes de Rambouillet en passant par Limours, Orsay, Palaiseau, Massy, Antony puis Paris se heurtera à une forte opposition, mais qu’en se dirigeant plus à l’est de façon à entrer à Paris par le sud, l’avance sera beaucoup plus facile.
De Guillebon va lui-même jusqu’à Arpajon où il arrive à la fin de la journée du 22 et d’où il envoie de nouvelles reconnaissances en direction de Longjumeau. Il aurait pu sans doute aller plus loin, mais il lui faut tenir le général Leclerc au courant de ce qu’il a découvert.
Dans la nuit du 22 au 23, de Guillebon reçoit un message radio de Leclerc lui demandant « d’éclairer » l’axe RambouiIlet-Versailles.
De Guillebon tente de lui répondre qu’il est préférable d’aborder Paris par le sud, mais le message ne passe pas. Il se voit contraint le matin du 23 août de revenir à Rambouillet par Limours, pour rendre compte à Leclerc.
Avant de rencontrer Leclerc, de Guillebon lance deux autres reconnaissances. Ces reconnaissances sont menées par le régiment de Marche du Tchad sous l’autorité du chef d’escadron Morel-Deville. La première à partir de Rambouillet, emprunte la R.N. 10 en direction de Versailles. Elle est placée sous les ordres du lieutenant Bergamain. Le lieutenant Bergamain avance sur la nationale 10. A l’entrée du Perray, il se heurte à quinze chars allemands. Il est légèrement blessé et rendra compte a Leclerc le 23 août à midi, le visage ensanglanté.
Le même jour, à La Verrière, un élément de reconnaissance du 1er Régiment de Marche des Spahis Marocains chargé d’estimer le potentiel des forces allemandes est touché par un char Tigre, dissimulé sous des arbres, dans un verger adossé à une grange, au lieudit « l’Agiot ». Du carrefour de la Malmedonne s’élève une épaisse fumée noire ; le char « Sanglier » de la 2ème DB est détruit.
Sur les hommes d’équipage du char trois perdent la vie. il s’agit de : Blondeau, Louis Rink et Moïse Jardin.
Un monument situé en bordure de la R.N 10 rappelle cet événement tragique.
La seconde aux ordres du lieutenant Serizier doit reconnaître Dampierre, Voisins-le-Bretonneux, Guyancourt, Satory puis Versailles. La Commune de Voisins-le-Bretonneux occupe une position stratégique entre la gare de triage de Trappes et l’aérodrome de Guyancourt.
Les soldats de la 2e DB vont se heurter à une forte résistance allemande.
Après avoir libéré Dampierre le 23 août à 9h15, le peloton Serizier atteint Voisins-le-Bretonneux qu’il réussit à occuper.
Le gros du détachement Morel-Deville (2e escadron du 1er régiment de marche de Spahis marocains) s’installe aux Granges, près de l’abbaye de Port-Royal le 23 août, puis rejoint Voisins-le-Bretonneux le 24 en vue des combats qui vont se dérouler au nord de la localité.
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