DOMPAIRE
150 Allemands tués. 100 prisonniers
65 chars anéantis
tel est le bilan de la bataille de Dompaire
UNE BRILLANTE VICTOIRE A L’ACTIF DE LA DIVISION LECLERC
Pourquoi la bataille ?
— Après avoir vu le défilé des Allemands en retraite les derniers jours d’août et les premiers jours de septembre, après la fausse alerte de la délivrance du 3 septembre, avec les nouvelles contradictoires qui, à chaque heure, s’entremêlaient et faisaient passer de l’espoir à la crainte sinon à un sentiment de terreur, alors que les habitants des deux cités s’étaient crus délivrés ; brusquement le mercredi 6 septembre, dans la soirée, arrivait un officier d’état-major, chargé des transmissions et qui installait quinze bureaux à Lamerey.
Le général arrivait dans la soirée, et les jours suivants, des éléments appartenant à toutes les armes rejoignaient, et étaient orientés vers des groupes organisés.
Pourquoi une bataille à Dompaire ?
—Dompaire ne forme-t-il pas le bastion avancé à l’ouest d’Epinal ?
Sa situation. à cheval sur la route nationale et sur les directions importantes de Vittel, Darney, Charmes, sa ceinture de collines n’offrent-elles pas des moyens de défense très favorables pour briser une attaque, et empêcher l’adversaire d’approcher ses canons à bonne portée de la ville.
Briser un colonne assaillante, c’était remettre à de longs jours peut-être, le franchissement de la Moselle. On comprend que les allemands aient voulu donner là un terrible coup de boutoir et y aient mis le prix.
Dispositif allemand autour de Dompaire.
— Le lundi et le mardi 12, cinquante hommes et jeunes gens des deux communes furent requis pour creuser des trous de tirailleurs individuels, judicieusement établis, ils barraient tous les vallonnements autour des deux cités, ainsi que les voies d’accès.
Quelques pièces d’artillerie de 105 étoffaient la défense, 1/2 batterie vers la barrière de la Viéville et 1/2 vers la ferme de Chenimont.
Deux obusiers tractés de 150 d’abord en position à la Viéville viendront finir au carrefour de la route de Madonne..
Quelques canons antichars étaient postés aux carrefours et aux cars..
Rien de trop sérieux comme défense jusqu’au lundi.
Dans la nuit du lundi au mardi, des renforts arrivèrent, sans doute étaient-ce des restes de la division. Elle venait de Vendée. Ces éléments, cet état-major devaient stationner quelques jours seulement, dans le dessein probable de regrouper ceux qu’une retraite de 800 kilomètres (sans trop de difficultés d’ailleurs), avait amenés là, « car disaient-ils, si les Américains n’arrivent pas avant le Jour fixé pour le départ, il n’y aura rien ici ».
Une tranchée anti-char barrait la route de Ville-sur-Illon vers le monument aux morts.
Un barrage avec mines, interdira tout passage vers l’entrée du vieux Lamerey.
Dispositif offensif français.
— La division blindée française avait comme objectif Epinal.
Elle s’y portait par l’axe Damas – Hennecourt – Gorhey. sa flanc garde de gauche avait la route nationale Mirecourt – Epinal comme axe de marche et sa flanc garde de droite Ville sur Hillon – Harol, selon toute vraisemblance.
La colonne principale atteignît Damas-et-Bettegney dès le mardi soir, sans trop de difficultés. Les flancs-gardes émoussèrent leur pointe sur Dompaire et sur Ville-sur-Illon.
La victoire, grâce à l’aviation couronnait leurs efforts, mais retardait leur horaire.
L’arrivée de l’armée débarquée sur la côte d’azur, amenait un dégagement latéral vers la gauche de l’axe primitif de marche. Strasbourg semblait déjà être l’objectif de la Division Leclerc.
Le mardi 12 septembre.
— Au matin du mardi, (ce qui émut fort les Dompairois), les allemands firent sauter le réservoir et la grue de la gare.
L’on commença à préparer des paquets et à repérer un abri.
D’autres y voyaient l’indice d’une retraite qui se passerait somme toute, dans le calme. « Si les allemands en viennent là, c’est que ça va mal pour eux ».
Quelques soldats, interrogés de ci, de là, disaient qu’ils s’attendaient à partir d’un instant à l’autre. N’avaient-ils pas, les jours précédents, réquisitionné les voitures automobiles, ainsi que les bicyclettes qu’ils avaient pu trouver.
Le bruit de la canonnade, toute la journée s’était rapproché.
Elle semblait venir du nord, entre Charmes et Mirecourt ! peut-être aussi de l’ouest ! on ne pouvait émettre que des conjectures.
La journée s’était passée dans le calme.
Brusquement, un bruit très dense de moteurs déchira l’air, on ne pouvait s’y tromper, c’étaient des chars !…
Il était 17h 30 !
Des éléments de reconnaissance allemande, motos tous terrains, torpédos, dévallaient la route venant d’Epinal ; suivis bientôt par des « Panthers ».
Aux fenêtres des cantonnements, les allemands avaient le sourire !
Ils reprenaient confiance. Cependant que l’angoisse étreignait le cœur des habitants, il y avait de quoi ! C’étaient des chars neufs, — leur compteurs marquaient en moyenne 150 km., — montés par des gens à l’air décidé.
Avec de tels moyens, les allemands eussent pu écraser la colonne qui venait à eux ! Mais dès le mardi soir, en allant prendre position, leur char de commandement I N2 était touché à mort. Dès ce moment, ce sera la pagaïe dans l’utilisation des Panthers, et quand, le lendemain, les chefs de Section de chars seront mis hors de combat, les équipages iront à la dérive.
A la jonction des routes de Vittel et Mirecourt, un orienteur dirigeait les « Panthers », qui, vers Begnécourt, qui, vers la Viéville.
La prise de contact.
— C’est une des. choses les plus délicates à la guerre ; contre toutes les règles, celle-ci se fit brutalement.
Tout à coup, (il était 18 h. 40), parut à la bifurcation des routes de Vittel et de Mirecourt, un motocycliste allemand, de l’autre côté, une torpédo de reconnaissance, accourant de la route de Vittel, c’était à qui passerait le premier. Ils franchirent le carrefour sans dégât. Mais, à leur attitude, spontanément, on pouvait comprendre qu’ils avaient fait une rencontre désagréable, et qu’ils étaient pressés d’en rendre compte.
Le pronostic était exact. Les allemands avaient rencontré les éléments de pointe de la Division Leclerc, vers la ferme d’Hassoncourt.
Français comme Allemands avaient été surpris. Les Allemands croyaient les blindés alliés encore à une trentaine de kilomètres, et les chars alliés estimaient Dompaire libre ou presque.
Ne se sentant pas en force devant un tel déploiement, la pointe du Général Leclerc se replia sur « son avant-garde » à Begnécourt.
La bataille pour Dompaire allait commencer.
Vers 19 heures les rues étaient désertes. Les premiers coups de canon se firent entendre vers l’extrémité de la Viéville. L’Ermitage eût l’honneur des premiers obus.
Aussitôt, chacun cherche un abri, le bombardement continue, il ne cessera guère de toute la nuit. Dompaire, Lamerey, Madonne, sont arrosés tour à tour.
A part la rue St-Jacques, une partie de Charles-Gérôme et quelques maisons de Lamerey, il est peu d’habitations qui ne reçoivent la visite d’un obus. L’église de la Viéville est blessée au flanc, le clocher de Dompaire est écorné.
Toute la nuit se passe en va-et-vient. Les Allemands forcent les portes des granges, pour y loger leurs autos.
Mercredi 13 septembre.
— Vers 5 heures, toutes ces voitures partent. Le Général lui-même se met en route ! « Bon débarras ! on s’en tire à bon compte ! » Un silence de mort succède à la canon-jiade et aux fusillades de la nuit.
Sommes-nous vraiment libres ? on sort de la cave. Un tour dans les jardins ! Personne ! Mais, ô surprise, à quelques pas, sous les marronniers, un « Panther » avec son équipage, là dans le verger, un autre plus loin, un autre encore !
« Ils » sont encore là.
Dans la rue, personne.
Les reconnaissances d’infanterie. — Brusquement, avec le léger brouillard qui se lève, la fusillade s’allume, nourrie.
Nos éléments de reconnaissance sont au contact à la fois vers le bout de la Viéville, avec pour objectif le cimetière, et une autre avec axe de marche la route de Vittel.
La première passe aisément. Elle traverse le pont de la Viéville vers 10 h., et atteint le cimetière vers 11 h., suivie d’une pièce d’appui direct.
La seconde s’enfonce en coin.
Elle fait de la maison de M. Biguet à la fois son point d’appui, et son poste d’observation. Mais les Allemands sont là de l’autre côté de la barrière, dans le parc Wirtz, et sur les deux flancs de la route, aux Cars, en arrière à Gidevenet, et au nord de la route, interdisant toute avance.
Les nôtres trouvent dans le propriétaire de la maison un aide averti et courageux.
La reconnaissance s’est engagée trop à fond avec son soutien trop en arrière.
Son chef, le lieutenant Guigon, — un brave — profondément aimé de ses hommes, lance une fusée rouge pour demander de l’aide.
Il allait tomber quelques instants plus tard, et avec lui, l’un après l’autre, huit de ses hommes.
Le renfort venu d’Hassoncourt, l’affaire reprend.
Les Allemands veulent fuir par la voie ferrée. Trop tard. Ils seront pris on abattus.
Dans Dompaire, Lamerey, Madonne, les Allemands tiennent bon.
Par le larmier, nous les voyons avancer, revenir, repartir. La mitrailleuse cesse, reprend, s’intensifie, se calme, recommence…
Seront-ils enfin rejetés ?
Les deux obusiers tractés de 150 s’installent au carrefour de la route de Madonne. Les Allemands s’accrochent. Ni l’infanterie, ni les chars n’en auront raison.
Il faut autre chose. Il faut que donne l’aviation.
Alors, les chasseurs surgissent, recherchent patiemment leurs objectifs et dans une ronde infernale, tels les banderillos sur leurs victimes, envoient des bordées de leurs mitrailleuses et de leurs canons sur les « Panthers », leurs rafales vous déchirent les entrailles. Par malchance, des « Rockets » destinées à des fantassins allemands atteignent la pharmacie et la maison Guyot, et rue Carnot, les maisons Bardot, Huguenin, Schumacher. Le Panther des marronniers a dû apercevoir un objectif, il crache six obus. Son audace lui attire de nouveaux coups, il lance encore deux obus.
Les avions reviennent à la charge, Trois fois dans la matinée, la ronde reprend avec le même acharnement. Vers midi, accalmie, on a le temps de se restaurer, mieux vaut ne pas sortir !
Les « feldgrau » circulent, inutile d’attirer leur attention !
La fusillade, elle aussi, a cessé.
Mais, vers 13 h., le tournoi gigantesque reprend.
Cette fois, ce n’est plus seulement des mitrailleuses et canons de bord qui entrent en jeu; il faut en finir !
Un sifflement suivi d’une explosion, toutes les vitres volent en morceaux, le mur a tremblé, n’est-il pas descendu ?
Alors nous voilà bien ! Non ! c’est une fusée typhon.
Puis mitrailleuses, canons, fusées reprennent de plus belle. Et les avions disparaissent. Est-ce fini, cette fois ?
Notre voisin a dû trouver sa position incommode, peut-être veut-il rejoindre les siens ? son moteur, péniblement, hoquette sur ses lourdes chenilles, il se met en route. «
Quel débarras !… » trop tôt ! Hélas, nous avons crié notre joie trop tôt !
Les avions reviennent et s’acharnent sur leurs proies.
A quatre reprises, ils recommencent leur effroyable tâche. Et peu à peu, les uns après les autres, les « Panthers » de la route de Ville, des Corvées, du Haut-Pays, de la route d’Epinal, de Madonne, du carrefour de Damas, s’écroulent, touchés à mort, incendiés, on leurs chenilles arrachées.
Les obusiers eux-mêmes ont leur tour. Ici, sept Allemands gisent déchiquetés près de leurs canons, le conducteur carbonisé à son poste !
Un crépitement continuel déchire l’air, est-ce le combat de rues qui se prolonge? sont-ce les balles qui ricochent sur le monstre d’acier ?
« Ça sent la fumée ? » Est-ce l’obus qui vient d’éclater ? Il faut voir. Poussons une reconnaissance.
Hélas, quel effroyable spectacle, tout ce coin de Lamerey est en feu. Ce n’est qu’un brasier. Les armes se sont tues, muettes, semble-t-il, devant l’horreur du spectacle. Rien, personne !
Au pas de course, on quitte ses caves pour chercher un abri plus sûr. Le feu fait rage, à Madonne, aux Corvées, place de l’Eglise, rue Carnot.
Et rien, rien à faire ! Ces chars qui brûlent, leurs entrailles déchirées par les obus qu’ils recèlent. Vision d’apocalypse !…
Les derniers chars qui tenaient encore sont enflammés par leurs occupants. Ne leur a-t-on pas annoncé que les Américains sont à un kilomètre ?
L’un d’eux ne brûle pas, il sera ramené à Paris, en trophée, avec un de ses congénères encore en bon état.
Pendant ce temps, nos soldats essayaient d’avancer par la route nationale vers la rue Saint-Jacques.
La dernière auto-amphibie allemande traversait Saint-Jacques vers 14 h 30, talonnée par un motocycliste.
Mais la fusillade empêcha celui-ci de dépasser le chemin de l’Ermitage. Il dût attendre jusqu’à 16 h. 20 l’arrivée des premiers chars français.
Ceux-ci ne poussèrent pas plus loin que l’embranchement de la route de Vittel.
Les Allemands quitteront le centre de Lamerey à 15 h. 30. Ils avaient ordre de tenir jusqu’à cette heure.
Nous ne devions voir nos soldats à Lamerey que le lendemain jeudi 14,
La nuit se passa encore dans les caves et dans l’ignorance de la situation !
Etions-nous délivrés ? L’Allemand reviendrait-il plus furieux cette fois ?… car on se battait encore à Pierrefitte, à Ville-sur-Illon et à Damas.
A Hennécourt, le jeudi soir, surgît une menace de contre-attaque. Les Allemands avaient massé là 1200 hommes d’infanterie et une trentaine de chars.
Grâce à l’artillerie de la Division Leclerc, la contre-attaque fût brisée sur sa base de départ.
Ainsi se terminait la bataille de Dompaire, indécise une grande partie de la journée .
Nos troupes y avaient perdu un officier très aimé de ses hommes, le Lieutenant Guigon, et huit hommes qui eurent en la paroisse de Dompaïre, des obsèques très solennelles
Trois civils avaient trouvé la mort, deux dans le bombardement du mardi soir, MM. Desvoivre et Marotel, le troisième, M. Thimont, par méprise, le jeudi.
Les Allemands, dans l’ensemble, avaient eu environ cent cinquante tués et une centaine de prisonniers. Ils avaient perdu à Dompaire, Madone, Lamerey et environ, soixante-cinq chars.
C’était enfin la délivrance. Aussi, avec quelle joie les troupes françaises furent-elles reçues le jeudi malin.
Car si les « Panthers » étaient restés debout, et avaient accompli leur terrible besogne, que serait devenu le reste de la paroisse ? Epinal n’aurait-il pas souffert davantage ? le passage de la Moselle n’en aurait été que plus difficile, et la libération des Vosges, déjà si délicate, retardée encore.
Notre-Dame de la Porte de Dompaire avait gardé les siens et obtenu pour nos vaillants de la Division Leclerc, la Victoire si âprement disputée.
« Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France »
DOMPAIRE
13 septembre 1944
La nuit du 12 au 13 septembre est une veillée d’armes peuplée par les tirs d’artillerie et les grondements de chars.
Les blindés se mettent en place, les deux partis se préparent pour un assaut imminent que chacun sait mortel.
Dans la petite vallée de la Gitte, entre Damas et Dompaire que menacent les deux sous-groupements du colonel de Langlade, l’ennemi a rassemblé un bataillon de Panther avec son infanterie d’accompagnement, une artillerie non négligeable.
D’autres formations blindées composées de Mark IV et de deux bataillons de grenadiers sont signalées au sud, près de Darney.
Au lever du jour un peloton de TD appartenant au groupement Minjonnet éclairé par ses jeeps de reconnaissance bute sur l’ennemi qui se met en place devant Damas.
Deux Panther sont incendiés, les autres manœuvrent trop lentement, les chasseurs de chars du RBFM, les Sherman du 12e RCA, l’artillerie les neutralisent, puissamment aidés par l’intervention, la première de la journée, des Thunderbolt d’appui aérien.
A l’ouest, dans la matinée, Massu donne l’assaut ; s’engage alors un furieux combat de chars et d’infanterie.
Là aussi, l’action des avions américains dirigés du sol par le colonel Tower est d’une remarquable efficacité renouvelée à plusieurs reprises dans une situation mouvante et difficile.
A Damas, les coups de boutoir lancés par les Allemands échouent, treize de leurs chars restent sur le terrain.
Devant Dompaire, pour Massu, il faut plus de temps pour venir à bout d’un adversaire acharné qui perd trente Panther.
Certains sont encore en état de marche, abandonnés par leurs équipages qui lèvent les bras ou accompagnent les fantassins en déroute en direction d’Epinal.
Dans l’après-midi, les Mark IV attaquent depuis Darney tentant de prendre à revers le groupement Minjonnet, menaçant sérieusement le PC du colonel de Langlade. Les Thunderbolt, les TD, les chars accourus mettent hors de combat sept des engins ennemis.
La 112e panzerbrigade a perdu dans la journée 59 chars sur les 90 de son effectif, sans préjudice de 21 canons détruits et de 500 tués.
En face, le GTL déplore 43 tués dont 3 officiers, une dizaine de chars et de véhicules perdus.
Pendant cette rude journée, au nord-est du champ de bataille, les reconnaissances du RMSM atteignent Nomexy sur la Moselle et prennent contact avec la 79e division US à Charmes. Le sous-groupement La Horie du GTV enlève Remoncourt où il détruit plusieurs canons antichars et fait 80 prisonniers, puis il occupe Hymont.
Le lendemain, les combats reprennent devant Damas de nouveau menacé par une quinzaine de blindés vite stoppés par l’artillerie.
Le PC du GTL s’installe dans Dompaire conquis de haute lutte.
Le GTD occupe Chaumont.
Le 19 septembre, la radio nationale diffuse le communiqué suivant :
« Commentaire des nouvelles au sujet de la 2e DB : une formation de la 2e DB correspondant à l’effectif d’une brigade a détruit plus de 65 chars ennemis pendant les journées des 13 et 14 septembre dans la région de Dompaire. »
Cette action sera considérée comme un des plus importants engagements de blindés sur le front de l’ouest.
DOMPAIRE
Extrait de « 7 ANS AVEC LECLERC »
Jacques MASSU – PLON – 1974
Notre Groupement de Langlade est en tête de la Division et a pour mission de s’infiltrer, pour le casser, dans le dispositif de la XIXe Armée allemande, elle-même chargée de recueillir les éléments de sa Ire Armée en retraite. Nous ne connaîtrons naturellement l’organisation allemande qu’un peu plus tard. Peut-être dormirions-nous moins calmement si nous savions que l’ennemi a confié au général Von Manteuffel la mission de contre-attaquer le flanc sud de la IIP Armée américaine, à partir de sa tête de pont à l’ouest de la Moselle et au moyen de ses nouvelles Panzer-brigades, acheminées par la voie ferrée, qui les débarque dans la région de Saint-Dié depuis le 7 septembre.
En effet, chacune de celles-ci compte une cinquantaine de chars Panther de 45 tonnes, une trentaine de Mark IV, deux bataillons de grenadiers mécanisés, un groupe d’artillerie sur chenilles.
L’axe qui m’est attribué, dans la nuit du 10 au 11, aboutit à Domèvre-sur-Avière, à quelques kilomètres au nord-ouest d’Epinal. Il passe par Lachapelle-en-Blaizy, Bologne, Andelot, Saint-Blin, Bourmont, Bulgnéville, Contrexéville, Vittel, Dompaire… Beau programme dont nous ne soupçonnons pas quel « suspense » il nous réserve.
L’absence de son capitaine, blessé devant Paris, m’incite à conserver la 7 à mes ordres directs et en avant-garde. C’est donc la 6e de Langlois qui fournira à son tour l’infanterie du sous-groupement Minjonnet. Je dispose également d’« éléments de découverte » des Spahis pour m’aider à pénétrer le plus profondément possible dans le système de défense ennemi sur la Marne.
A La chapelle-en-Blaizy, les renseignements d’une reconnaissance que j’ai envoyée sur Juzennecourt tardant à me parvenir et me sentant pressé par le temps, j’engage mon sous-groupement dans un chemin forestier qui aboutit à Sexfontaines. Pendant cinq kilomètres nous avançons sous bois dans la forêt du Bois Charrité. Les derniers véhicules auront quelques difficultés à sortir des ornières. La route nationale 67 est atteinte après Lamancine. A ce moment parviennent les résultats de reconnaissances sur Andelot qui est fortement tenu par un millier d’Allemands. Pour ne pas être retardés dans notre mission, nous éviterons ce bouchon, en faisant un large détour par le nord. Derrière nous le Groupement Tactique V, alors aux ordres de Billotte, fera son affaire de ce gros rassemblement ennemi. La Marne est franchie à Vouécourt sur un pont de fortune, aménagé par les F.F.I. avec des fûts de peupliers verts qui plient, mais ne rompent pas sous les 27 tonnes de nos destroyers. Le commandant du Génie divisionnaire, présent à mon passage, contemple cette manœuvre avec inquiétude cependant que ma colonne entière franchit sans incidents l’obstacle.
Je m’engage ensuite dans la forêt du Heu où je trouve des spahis à l’affût. Je vais interroger le lieutenant-colonel Roumiantzof, qui les commande, sur les raisons de sa présence camouflée sous les arbres. Je le trouve, à son habitude, dans un grand état d’excitation. Il est aussi rouge que son calot et a communiqué sa passion à son entourage. « II y a des chars, me dit-il en roulant les r, de gros chars, de très gros chars devant nous… même des chars russes… »
Je laisse « le Roum » à cet affût au gros gibier pour poursuivre ma route et, par la Croix des Allemands et la D.134, je sors de la forêt sans avoir rencontré l’ennemi, vers le nord, à Bettaincourt. Je reprends la direction de l’est par Montot, Vignes, Saint-Blin, Bourmont. Là, déjà, nous entendons le fracas de la bagarre qui retient ma 6e compagnie, aux ordres de Minjonnet, devant Prez. Mais je dois continuer mon avance pour atteindre Bulgnéville.
Jusque-là nous avons réussi à éviter tous les bouchons ennemis mais, d’après les renseignements, Contrexéville et Vittel sont fortement tenus. On va bien voir ! Cette fois-ci ce sont de grosses agglomérations aux noms prestigieux. L’ennemi souffrira moralement de leur perte, cela « vaut le coup ».
A 18 h 30 nous sommes devant Contrexéville où s’engage notre premier baroud de la journée. Ce sera rapidement enlevé. La 7e compagnie, passant en ouragan, déblaye l’axe et fonce à la sortie est sur la route de Vittel. La 5e compagnie et la Compagnie d’Accompagnement nettoient plus systématiquement la partie sud de la ville. Les Allemands perdent une centaine de tués ou prisonniers, dont une compagnie camouflée dans un champ de betteraves. Pour une raison inconnue son capitaine a enlevé son casque. Sa tête, totalement chauve, brille à la lumière du crépuscule. Berne, en avant de ses hommes, a failli lui marcher sur le crâne. Les chars de Titeux, à cent mètres à droite, ont certainement produit un effet psychologique déterminant. Un certain nombre de soldats allemands s’enfuient vers Vittel, qui sera ainsi mis en alerte. Il est trop tard pour s’y porter ce soir. Nos pertes sont de trois tués, dont le brave caporal-chef Deconninck, ancien de la Légion étrangère, et de quatre blessés, dont trois sous-officiers et un caporal.
Aux ordres d’Ivanoff comme précédemment à ceux de Fonde, la 1, nouvellement récupérée par mon sous-groupement, a un « pétrole » terrible.
Pour l’attaque sur Vittel, le 12, le colonel de Langlade qui, d’habitude, me laissait agir à ma guise, intervient en me donnant l’ordre de lancer une « patrouille blindée », avec mission de « traverser Vittel sans s’y faire accrocher et de se porter sur l’axe jusqu’à Bainville-aux-Saules, pour éclairer le sous-groupement et lui permettre de gagner du temps… », jusqu’à ce que parvienne à l’ensemble du groupement l’ordre de départ. J’avais pourtant largement établi la preuve de la supériorité de ma formule : un élément de reconnaissance léger, souple et fluide, suivi d’une forte avant-garde bien pourvue en canons, puis le « gros » serrant au plus près, le tout pouvant agir vite et fort.
Pestant en mon for intérieur mais discipliné, j’exécute, en donnant le commandement de cette patrouille blindée au lieutenant Sorret, chef de ma section de reconnaissance : le meilleur choix possible pour une affaire qui ne me dit rien de bon. Le résultat est tel que je le craignais… La patrouille va être stoppée, dès les premières maisons de Vittel, par des chars Panther qui touchent un Sherman. Nos tanks-destroyers sont appelés à la rescousse, l’un d’eux est atteint. Il est 9 heures. Notre batterie de 105 intervient. Sorret replie les survivants de la patrouille. Je prends l’affaire en main, décidé à agir désormais selon le procédé que j’ai mis au point et dont je connais l’efficacité.
Mais voici qu’au moment même où je donne mes ordres, le général Leclerc arrive en trombe au Poste de Commandement-avant. Canne à la main, jumelles et porte-cartes en bandoulière, son sourire de façade cache mal son désir de tout savoir. Il me questionne, il discute, il n’est pas d’accord.
Encore furieux de la manœuvre qui m’a été imposée la veille et persuadé d’avoir raison, j’ose maintenir avec énergie mon point de vue. Je m’obstine et le général, soudain, cède et se retire aussi vite qu’il est venu. Je suis dans l’incertitude sur son état d’esprit. L’ai-je convaincu ou a-t-il senti qu’il valait mieux me laisser jouer ?
A ma demande l’artillerie est rameutée pour pilonner les lisières de Vittel où l’ennemi s’est terré. L’articulation du 40e Régiment d’Artillerie Nord-Africain est telle que, même détaché en appui direct de mon sous-groupement, le capitaine Boissin, alias Ramières, a toujours la possibilité de faire appel aux autres batteries du groupe. De même met-il souvent une des sections de sa batterie de tir en renfort des autres batteries, sans pour cela que la sienne soit dissociée.
Pendant ce temps je déploie mes hommes dans le bois du Grand Ban. A 14 h 10, c’est l’attaque menée par mon sous-groupement tout entier.
Je vais ouvrir l’axe en force, traverser Vittel en bousculant l’ennemi mais sans m’attarder. Je veux poursuivre au plus vite sur Dompaire. Derrière moi d’autres éléments effectueront le nettoyage et achèveront notre œuvre.
L’action se déroule suivant le programme prévu, la 7 au nord de la voie ferrée, la 5 au sud : la coopération infanterie-chars est parfaite. L’ennemi laisse de nombreux tués et blessés sur le terrain et une centaine de vélos neufs, appartenant à une compagnie cycliste arrivée en renfort le matin, qui feront la joie des habitants. Les Panther réussissent à décrocher, après avoir mortellement atteint à la mitrailleuse le lieutenant Gauffre, vétéran du Tchad. L’un d’entre eux sera cependant détruit peu après par l’Air-support. Nous n’aurons pas le temps de nous occuper des 3 000 internés anglo-saxons qui attendent là depuis quatre ans de recouvrer leur liberté. Mais ils nous acclament au passage et seront vite pris en charge derrière nous.
Le temps de nous regrouper et, à 16 heures, nous coupons l’axe du sous-groupement Minjonnet, qui nous laisse passer, et nous filons sur Dompaire par Valleroy-le-Sec, Valfroicourt, Bainville-aux-Saules où une voiture légère allemande, transportant deux officiers qui se rendent en inspection à Vittel, est détruite par la section de reconnaissance. Après Begnécourt, jeeps et chars de tête se paient une poursuite de quelques kilomètres derrière des véhicules allemands fuyant à toute vitesse, ce qui nous amène rapidement aux lisières de Dompaire, située dans une cuvette dont les rebords, largement ondulés, sont couverts de vergers ou de bois.
Quelques coups de canon ennemi bien ajustés atteignent la route, le char de tête est déchenillé. Nous voilà stoppés dans notre élan. Le canon coupable a pu être repéré au moment où un attelage s’apprêtait à le remorquer : il est rapidement détruit. Allons-nous continuer ? Il est déjà tard pour s’emparer de l’agglomération et j’incline à penser que ce sera pour demain.
Toutefois on entend à très faible distance des bruits de chars. A environ 600 m à droite de la route un buisson de forme curieuse attire notre attention. Les avis sont partagés : est-ce un char ou un buisson ?… La masse se déplace, et soudain apparaît un long tube qui se braque vers nous : c’est un Panther ! Obusiers, tanks-destroyers, Sherman ouvrent le feu. Mais nos gens se pressent trop. Le Panther refuse le combat et disparaît. Un deuxième est aussitôt repéré, il se déplace en nous présentant son flanc : il est rapidement incendié par un obusier et abandonné par son équipage. Cris de victoire. Au même moment un troisième, qui a sans doute compris le danger, s’enfuit en nous présentant la partie la plus vulnérable de son corps. Mais la pente est rude, il marche très lentement. Encadré par des dizaines d’obus, touché par plusieurs, il nous semble ne plus pouvoir avancer. Il atteint péniblement la crête derrière laquelle il disparaît. Mais il est certainement hors de combat. Premier tableau : un Panther détruit, deux sérieusement endommagés.
Encouragé par ce succès, je décide de porter l’avant-garde sur la crête sud-ouest de Dompaire, où elle s’installera en point d’appui pour la nuit, contrôlant ainsi les sorties est et sud de la ville, le gros restant sur l’axe, appuyé au mouvement de terrain bordant la route à droite.
L’avant-garde progresse, déployée, bien échelonnée : chars du 12e Régiment de Chasseurs d’Afrique avec fantassins de la 5, puis obusiers et half-tracks de la Compagnie d’Accompagnement, half-tracks de la 5, tanks-destroyers protégeant le flanc gauche vers la route. Le spectacle est imposant. C’est notre premier déploiement au combat, il est bien réussi.
Tour d’horizon : le terrain est moins favorable qu’il ne nous semblait, depuis la base de départ, car il n’offre pas de vues dominantes.
Les fantassins mettent pied à terre et les premiers chars sont à peine en position que nous sommes violemment pris à partie sur notre gauche par au moins trois Panther parfaitement défilés, d’une distance d’environ 800 m. D’autres nous tirent d’à peu près 2000 m. Points rouges des perforants à la recherche d’objectifs, sifflements et claquements secs des projectiles ennemis, coups de départ de nos chars, c’est un vacarme étourdissant, un véritable feu d’artifice. Impossible de donner un ordre, il faut courir de l’un à l’autre. Sorret, qui m’accompagne dans mes liaisons et dont l’esprit est plus libre pour apprécier la proximité des trajectoires, insiste pour que je me planque. Mais j’ai trop à faire pour interrompre une seconde mon action. Un de nos half-tracks, touché dès le début, brûle comme une torche. Puis c’est un char. Sorret prend sur sa jeep le soldat Stéphani, qui vient d’être grièvement atteint dans le half-track en flammes et cependant chante encore : « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine ». Ce sympathique garçon blond, né en Tunisie, n’avait pas vingt ans et se destinait à la magistrature. Il mourra courageusement dans la nuit à l’hôpital de Vittel.
Les Panther sont de face et n’ont rien à craindre de nous : ils sont plusieurs fois touchés, mais nos projectiles ricochent sur leur cuirasse. Au plus fort de la bagarre, trois autres Panther sortent de Dompaire par la route sud et se préparent à nous attaquer de face. Celui de tête est mis hors de combat en deux coups et incendié. Les deux autres prennent position et atteignent un de nos chars dont l’équipage parvient à éteindre le feu avec son extincteur.
Sur notre flanc gauche le combat est toujours aussi violent : deux de nos half-tracks sont touchés sans être incendiés.
Notre situation est difficile. J’ordonne de regagner la base de départ.
Le décrochage s’effectue par échelons, sans incident, remarquablement couvert par les tirs fumigènes des mortiers et obusiers que dirige le capitaine Eggenspiller, et aussi par le crépuscule. C’est à la nuit noire que les derniers éléments de l’avant-garde rejoindront le gros du sous-groupement.
Le bilan de la soirée est le suivant : l’ennemi a 2 Panther incendiés et 2 endommagés. De notre côté nous laissons sur le terrain un half-track et un char incendiés, deux half-tracks endommagés, qui seront récupérés le lendemain et réparés.
Si certains d’entre nous, après Paris, rêvaient de spectaculaires chocs de chars en plaine, leur rêve a été réalisé le 12 septembre au soir devant Dompaire.
Ceux qui ont vécu le combat en conserveront un souvenir impérissable et la certitude qu’avec flegme et sang-froid on a toujours une bonne chance de se tirer des situations les plus fâcheuses.
La nuit sera calme bien que remplie sans cesse de menaçants bruits de chars. Notre artillerie pilonne Dompaire. Nos approvisionnements en essence et munitions sont recomplétés.
Au petit matin du 13, du meilleur observatoire que m’offre le terrain sur le Haut de Buxy, je cherche quelle manœuvre va me permettre de remplir ma mission : à savoir m’emparer de Dompaire, en ménageant au maximum la vie de mes hommes.
Le temps est splendide. Je bénéficie de l’appui de l’aviation américaine et le ciel limpide va lui permettre d’évoluer facilement. J’ai en effet « touché », la veille, un très sympathique colonel américain, Tower, monté sur un char spécialement aménagé, dont les équipements radio lui permettent de communiquer avec les pilotes en l’air. Il sera un acteur essentiel de la journée dont Pierre Bourdan, le radio-reporter bien connu, suivra le déroulement dans un half-track radio de mon Poste de Commandement, côte à côte avec Robert Tiran, le chiffonnier de l’Hôtel des Ventes, qui s’était engagé à Paris après avoir renoncé à « se défendre dans son business parce qu’il n’y avait plus rien à gratter là où les fridolins étaient passés ».
Je constate que les deux villages de Dompaire et de Lamerey sont placés en enfilade, dans le sillon de la Gitte et que les chars allemands sont venus de l’est, d’Epinal, en terrain découvert. Je sais que mon camarade Minjonnet sur ma droite attaque Damas. Je décide de porter mon effort essentiel dans une manœuvre d’enveloppement par l’ouest, en profitant au départ des couverts des Grands-Bois et du Chanot et prenant pour objectifs La Viéville et le cimetière de Dompaire.
Ce débordement est confié au tandem Rogier-Eggenspiller, tandis que la 7 le masquera en fixant l’ennemi sur l’axe, c’est-à-dire la D.28, et les lisières sud de Dompaire. Je recommande expressément à son capitaine Ivanoff de ne pas se laisser accrocher, mais c’est sans doute utopique de ma part de confier cette mission statique à des hommes dont le perçant est la marque essentielle ! Ils ne connaissent pas d’obstacle et, bien entendu, ils ne pourront se retenir d’attaquer et supporteront ainsi l’essentiel du choc au sol.
Les premiers Thunderbolt, qui auraient dû être, dans mon esprit, pour limiter au maximum les pertes d’hommes, les seuls éléments d’attaque directe, apparaissent vers 8 h 30 ; le moment est venu d’exhiber nos panneaux cerise ou orange, pour éviter d’être des cibles. Les avions tournent au-dessus de Dompaire. Jamais cette scène ne s’effacera de mon souvenir ! Le colonel Tower a les écouteurs aux oreilles, le micro aux lèvres et tout le buste hors de sa tourelle. Hissé vers lui de toute ma hauteur, je lui tends ma carte, à chaque instant mise au point grâce aux renseignements que me communique par radio le capitaine Rogier. La position du char nouvellement repéré, aussitôt reportée, est communiquée aux pilotes par un ordre bref en langage à la fois conventionnel et barbare à mes oreilles. Les avions, dociles, entreprennent leurs piqués malgré les réactions désespérées des canons de 20 allemands. Aucun film, depuis lors, n’a pu restituer, pour moi, ce summum d’excitation, de violence, de beauté sauvage et d’horreur ! Bombes, rafales de mitrailleuses, roquettes sont la musique assourdissante de ce spectacle que tous suivent, haletants. Les colonnes de fumée des « Panther » incendiés s’élèvent dans le ciel, saluées par les hurlements de joie des hommes survoltés. Nous en comptons 8.
Pendant ce temps, emportée par son élan, la 7e compagnie est engagée dans de rudes combats aux alentours de la voie ferrée. Là se distingue la section du lieutenant Guigon qui va être mortellement frappé plus tard, dans cette journée terrible.
Comme prévu, l’enveloppement par la gauche s’effectue sans incidents. Le passage à niveau sur la route nationale 66 est atteint par le lieutenant Berne, de la 5e compagnie, tandis que notre artillerie matraque les environs du cimetière. Un coup trop court tue un de ses hommes, alors que sa section n’a pas encore vu un seul Allemand. Berne marque alors un temps d’arrêt, cependant que l’équipe d’observation aérienne du capitaine Roussellier, sur piper-cubs, confirme sa maîtrise en ajustant le feu du Groupe, qui aura ainsi participé à l’extermination de bon nombre de chars ennemis.
Après 11 heures a lieu la deuxième intervention de l’Air-support, de nouvelles colonnes de fumée s’élèvent. Le capitaine Ramières continue à bombarder les lisières nord-ouest de coups de 105, puis lève son tir.
Pendant que la T compagnie maintient sa pression sur le centre de l’agglomération, l’élément de manœuvre se porte sur la route de Bouzémont, à proximité de la croupe du cimetière, d’où il peut contrôler tous les environs. Berne est arrivé le premier sur cet observatoire, rejoint par le capitaine Rogier, les Sherman et 2 tanks-destroyers. Ils entendent des bruits de chars ennemis dans la cuvette sans en apercevoir aucun. La position est bonne. A mon tour, je m’y porte en jeep. Nous attendons avec confiance.
Vers 15 heures, troisième intervention de l’Air-support. Les pilotes prennent de gros risques au point que l’un d’eux se pose sur le ventre à environ 1 500 m nord-est de notre position. On le croit perdu mais on n’a aperçu aucune colonne de fumée. Les hommes placés en guetteurs sur la route de Bouzémont voient arriver un grand gaillard roux levant les bras ! C’est l’aviateur, un capitaine américain. Un grand coup de « tord-boyaux » le remettra solidement sur ses jambes, avant son évacuation vers l’arrière.
Après le départ des Thunderbolt, des Panther sortent de la cuvette par le nord, cherchant sans doute à atteindre les bois de Bouzémont. La pente est rude. Ils avancent lentement en présentant leurs flancs, par groupes de trois. Dans les meilleures conditions de tir, avec le soleil couchant et le cimetière dans le dos, nos Sherman, tanks-destroyers et obusiers s’en donnent à cœur joie. Ils en détruisent 9, sans être allumés à leur tour : une chance ! car leur espace de manœuvre était restreint.
Un peloton de trois défile hors de portée de nos armes, escorté par de l’Infanterie à pied, se hâtant vers les bois de Bouzémont.
Le dernier char hors de vue, je redescends à Dompaire où je tombe sur Gribius, le très brillant chef du 3e bureau de la Division, qui est à ma recherche. Il est venu évaluer avec précision la situation et se réjouit avec moi de la réussite de cette journée.
A ce moment surgit en jeep le colonel de Langlade beaucoup moins euphorique, car son Poste de Commandement de Ville-sur-Illon, à 5 km au sud, est menacé par un bataillon de Mark IV. Très inquiet, il est venu dans l’intention de prélever des renforts sur ses sous-groupements, pour lui porter aide. Gribius, heureusement, renforce mon jugement et affirme avec moi qu’il ne peut être question d’alléger Dompaire et d’exposer sa population à un retour offensif de l’ennemi.
Par contre je persuade mon nouvel et sympathique ami, le colonel Tower, de diriger une quatrième intervention de ses avions sur les assaillants de Ville-sur-Illon. Les derniers rayons de soleil permettront cette opération et les chars allemands seront décimés et refoulés. A terre, ce seront les fantassins du 3e Bataillon du Tchad, accordés par Gribius en renfort à Langlade, qui achèveront de le dégager.
A Dompaire, où nous sommes heureusement restés, une patrouille de la 7e compagnie détruira encore aux roquettes, dans la nuit du 13 au 14, deux Panther cachés en pleine ville, portant ainsi à 11 le nombre total des Panther détruits par nos propres armes, sans perte de matériel de notre côté.
Quelle journée ! mais le bataillon accuse 9 tués et 18 blessés. Le sous-lieutenant Larsen est tombé dans les rangs de la 6 et la 7 pleure son héros, le lieutenant Guigon, les chefs Gollat et Rochereuil, le caporal-chef Muracciole et deux Marocains, Smaïn ben Daoud et Louadouli ben Mohamed, les compagnons de Guigon au Corps Franc.
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