SCHWENHEIM
Mercredi 22 novembre 1944
Le général poursuit inflexiblement sa mission.
Je l’aperçois, silencieux mais souriant, à proximité du carrefour d’où je regarde s’ébranler les différents éléments de mon sous-groupement.
(Jacques MASSU)
7 ANS AVEC LECLERC
Jacques MASSU
Le 22 novembre, c’est le jour anniversaire de l’entrée des troupes françaises à Strasbourg en 1918 !
La tentation est forte de foncer directement sur l’objectif que Leclerc s’est fixé à Koufra.
Mais il est indispensable que le col de Saverne soit dégagé au préalable.
Le général poursuit inflexiblement sa mission. Je l’aperçois, silencieux mais souriant, à proximité du carrefour d’où je regarde s’ébranler les différents éléments de mon sous-groupement, suivant les indications de mon ordre de la veille.
D’abord la flanc-garde que j’ai confiée au capitaine de Vandières et à ses chars, qui doit intercepter tout élément ennemi se repliant de Saverne vers Strasbourg ou vers Haguenau.
J’ai de bonnes liaisons radio avec Vandières et presse vivement son mouvement, cependant que la fraction principale à mes ordres, dans son découpage habituel, court vers les vergers sud de Saverne, à partir desquels seront occupés par l’est les ponts et la ville.
Derrière moi, vers 10 h 30 s’élance à son tour le sous-groupement Minjonnet qui va pénétrer en trombe dans les faubourgs sud-ouest de Saverne pour attaquer Phalsbourg à revers.
A ses ordres, ma 7e compagnie se déchaînera dans un combat furieux au carrefour des Quatre-Vents qui lui coûtera un chef de section, le sous-lieutenant Piet.
Mon sous-groupement a contourné Marmoutier, traversé Schwenheim, longé le bois de la Faisanderie.
Après un bref combat, où l’adjudant Grossir est blessé, il occupe le carrefour de la Brasserie vers 14 h 15, au moment où le colonel Rouvillois, venant du nord, l’atteint lui-même.
On pourrait croire que notre rendez-vous a été chronométré.
Nous nous serrons gaiement la main et je pénètre dans Saverne par le sud-est. Pas de résistance notable.
Deux canons de 88 et plusieurs mitrailleuses lourdes à l’entrée de la ville sont rapidement neutralisés par nos chars.
Croyant à une attaque venant de l’ouest, les Allemands cherchent à s’échapper vers l’est par la route de Dettwiller.
Embusqués derrière le bois de la Faisanderie, les chars du capitaine de Vandières font mouche sur chaque voiture qui débouche.
Le désarroi des Allemands est illustré par le fait suivant :
Parmi les 800 prisonniers capturés à Saverne, une pièce de choix, le général Bruhn, commandant la 553e Division de « Volksgrenadiere ».
Il est, bien entendu, immédiatement conduit en jeep au Quartier Général de Leclerc qui se trouvait, à ce moment-là, à Birkenwald, au sud-ouest de Marmoutier.
Tout heureux, voyant la direction prise, le général allemand était persuadé que les Français se trompaient de route et allaient droit vers les lignes allemandes. Il croyait en effet avoir été victime d’une infiltration d’infanterie par les bois.
Interrogé par les officiers du 2e Bureau, il se refuse d’abord à dire quelle unité il commandait.
A ce moment l’on apporte des caisses pleines d’archives de sa division, saisies par des hommes du 2e Bataillon du Tchad dans son camion-bureau abandonné à Saverne. Le général Bruhn comprend alors qu’il serait vain de nier plus longtemps et se met à parler.
Il nous reste à jouer la dernière scène de la pièce, conçue jadis à Koufra.
Mais c’est déjà au-delà de Strasbourg que le général Leclerc, avec son habituel esprit d’anticipation, nous fixe l’objectif du 23 novembre : les ponts sur le Rhin et la ville de Kehl.
La charge
.Le 21, Quiliquini repart à toute allure, direction Mittelbronn-Phalsbourg, face au centre de la position allemande, dont il a pu jauger sur les photos la solidité : elle comporte deux systèmes complets, un à hauteur de Mittelbronn, l’autre derrière Phalsbourg, chacun avec un fossé antichars continu couvert par deux réseaux de tranchées, boyaux, postes de guet, emplacements d’armes. Sur la deuxième position, l’ennemi a coulé du béton.
La charge enlève le premier système de tranchées. Les chars dévalent à contre-pente, traversent Mittelbronn, prennent sous leur feu le fossé. On peut voir encore le char Bourg-la-Reine tombé en pointe devant Phalsbourg, et, à l’ouest de Mittelbronn, au faîte du grand glacis qui offre au défenseur un si formidable champ de tir, mais qu’ils avaient tout entier traversé, les tombes de ceux du I/R.M.T., que les gens du village entretiennent pieusement.
Là fut tué le premier officier qui au début de 1943, aux confins tunisiens, s’était présenté pour la rejoindre à la colonne Leclerc arrivant du Tchad : le capitaine Boussion.
Le général Bruhn, qui commande la 553e Division de Volksgrenadiers et qui a décroché ce qu’il a pu de la région de Blamont, est hypnotisé par cette charge. Il ne songe plus qu’à garnir ses défenses et à y faire face : il doit tenir sur place, devant Saverne, et il sait ce que signifie cet ordre. Il n’aura plus la liberté d’esprit nécessaire pour regarder au nord ni au sud et il concentrera tout son matériel, qui est encore important, autour de Phalsbourg.
Au sud, on l’a vu, c’est Dabo.
Au nord, Rouvillois donne à son mouvement une ampleur accrue. Il abandonne délibérément, et d’accord avec le Général, l’axe A : par Siviller et Petersbach il se présente devant la Petite-Pierre.
Ce trajet le mène sur les arrières d’autres unités ennemies, celles qui depuis Morhange refluaient devant le XIIe Corps américain : 361e Volksgrenadiers et 11e Panzer. Le commandement allemand essaie de les rameuter, de raccrocher en hâte un dispositif au nord de Sarrebourg : Rouvillois tombe sur des artilleurs qui se mettent en batterie. Il commence son carnage qui englobe tant d’unités diverses, de services et d’Etats-Majors que notre Deuxième Bureau renonce à les démêler.
Le défilé de la Petite-Pierre, le village qui face à la France montre ses pittoresques mais difficiles escarpements, est fortement tenu. On fait donner le canon : pendant que les fusants s’étalent sur le paysage, les chars de Compagnon forcent la place. Le groupement va y passer la nuit.
Demain il repartira, débouchera au matin dans la plaine. Une pointe poussée sur Bouxwiller y fera un carnage, mais le gros s’infléchira plein sud. Encore un dur morceau à Neuviller, un convoi annihilé à Steinbourg. La pince se fermera vers le point assigné.
(La 2e DB- Général Leclerc – En France – combats et combattants – 1945)
J.M.O. – 12e Régiment de Cuirassiers
RÔLE DU 2ème ESCADRON DANS LA BATAILLE DES VOSGES ET DE STRASBOURG
(Extrait)
22 Novembre 1944.
À 08H30, le détachement COMPAGNON débouche de La Petite Pierre, précédé par un peloton de spahis jusqu’à Weiterswiller sans rencontrer aucune résistance, mais en remarquant des traces fraîches de chenilles sur les chemins afférents la grande route.
Weiterswiller traversé, nettoyé, la progression reprend en direction de Neuwiller.
La progression se révélant impossible par la route, la Section LUCCHESI tente de déborder par la gauche dans le bois de Niedermaler.
Le peloton de mortiers et le Peloton PERRIER l’appuient de leurs feux.
Le peloton de mortiers LECORNU réussit un tir ajusté sur les pièces d’artillerie de campagne allemandes.
Un des H.T. mortiers s’embourbe.
Le Lieutenant PERRlER essaie de le faire tirer, opération difficile en raison du feu ennemi. Le chargeur ESPOSITO, descendu pour accrocher le câble de remorque, est blessé mortellement par un éclat d’obus et emmené sur Weiterswiller.
La progression peut alors reprendre, la résistance ayant été largement débordée par le détachement LENOIR.
Le détachement BHIOT, reçoit l’ordre de se reporter à La Petite Pierre à 08H30 ; dès l’arrivée à La Petite Pierre, il va falloir suivre le sous-groupement sur l’axe Petite Pierre – Weiterswiller.
La mission suivante lui est confiée : déboucher largement la position de Saverne, couper la route de Saverne à Strasbourg et s’emparer des ponts sur le canal de la Marne au Rhin à Dettwiller ; itinéraire de marche : Weiterswiller, Bouxwiller, Riedheim, Lantzheim, Gottesheim, Dettwiller.
Ce mouvement s’effectue avec grande rapidité.
Débuté à 09H30, il sera terminé à midi ; l’ennemi a été rencontré à Bouxwiller, Prinzheim, Gottesheim et Dettwiller.
Son attitude révèle une surprise totale (colonnes interceptées, résistances insuffisantes mises en place).
Le résultat obtenu est le suivant :
un nombreux matériel automobile et hippomobile est anéanti ou capturé, 800 prisonniers sont totalisés en fin de journée, les tués ennemis et blessés sont nombreux mais difficiles à évaluer.
Un char ami : le CAEN, est resté embourbé à Prinzheim, avec les embrayages hors service.
Devant Dettwilier, le cuirassier CARRASCO est blessé au ventre. La liaison est prise avec le Colonel ROUVILLOIS à 12H30.
Le PC du détachement est à la Rathaus.
Jusqu’à Dettwiller, l’organisation du détachement était la suivante :
– une patrouille d’axe, chef de patrouille : COQUELET avec le DJEMILA char de tête, et le CAEN.
– 2 H.T. d’infanterie, dont celui du S/Lieutenant NABARHA, muni de radio, et un char 105 ILE DE SEIN.
Le lendemain matin à 07H45, le détachement part en avant-garde sur Strasbourg.
Axe de marche : Dettwiller – Hochtelden – Schwindratzheim – Mommenheim – Brumath – Vendenheim – Schiltigheim – Strasbourg ; la progression s’effectue encore plus rapidement que la veille : 30 km sont parcourus en 2 heures.