REINHARDSMUNSTER
Km= 1063
Dimanche 19 – Mardi 21 novembre 1944
Libération de Reinhardsmunster.
Nos compatriotes savent-ils qu’un des premiers villages libérés d’Alsace était Reinhardsmunster ?
Récit : « Puis c ‘est de nouveau l’ascension du coi du Valsberg (I).
Une dernière résistance à la hauteur de La Hoube, les ultimes lacets, la route qui cesse de monter pour plonger brusquement au milieu de la pluie et des nuages : accrochés aux grands sapins.
D’un coté, la muraille de la montagne, de l’autre, le ravin.
Un virage à épingles à cheveux, et le scénario s’inverse : précipice d’un côté, paroi abrupte de l’autre.
Entre les deux, une route étroite, terriblement sinueuse, glissante comme une patinoire, si facile à obstruer. Mais entièrement libre…
Tout le sous-groupement se lance à corps perdu dans la descente, comme pour se convaincre qu ‘il a réussi à passer, que les fourneaux de mine entrevus ça et là ne vont pas subitement écrouler la montagne et bloquer irrémédiablement la route.
Et puis, soudain, l’éclaircie fugitive qui, l’espace d’un instant, permet d’apercevoir la plaine d’Alsace plusieurs centaines de mètres en contrebas.
Le 22 novembre 1918, l’armée française entrait à Strasbourg délivrée de joug
Aujourd’hui, veille de cet anniversaire, la 2e DB s’apprête à respecter le serment prononcé par un jeune chef inspiré dans les sables de désert africain. Aujourd’hui comme hier, chaque homme de la 2e DB est prêt à mourir pour que parole soit tenue.
Obersteigen, premier village sur le versant alsacien des Vosges, n ‘en croit pas ses yeux lorsque le sous-groupement Massu le traverse en trombe. Derrière, suit foui le GT V qui éclate un peu plus bas dans toutes les directions :
Da vers Salenthal, Putz vers Allenwiller et Singrist, Cantarel jusqu’à Dimbslhal, Debray et Guillebon à Birkenwald.
En fin d’après-midi, Massu débouche dans Reinhardsmunster.
Une compagnie allemande, qui vient d’y arriver, s’imagine très loin du front et prépare tranquillement son cantonnement.
Les soldais, abasourdis, se laissent cueillir sans réagir. Un capitaine se présente en voiture à l’entrée du village.
Il lui faut quelques instants pour retrouver ses esprits et expliquer qu ‘il comptait passer quelques jours de permission à Dabo.
D’abord incrédules en découvrant des uniformes américains, les paysans laissent éclater une joie intraduisible en réalisant que des Français les portent. Le temps de coudre trois morceaux d’étoffe ou de sortir celui qu ‘on conservait caché, des drapeaux apparaissent à toutes les fenêtres.
Une main ridée tend avec reconnaissance une bouteille de vin ou de kirsch soigneusement préservée.
Car, en dehors des femmes, il ne reste plus que les vieux et les enfants. Les autres, s’ils ne se sont pas enfuis. Dieu seul sait ce que l’Allemagne a pu en faire…
En début de matinée, le 21, Langlade envoie le capitaine du Hays et ses chars légers du Ier escadron reconnaître Schneckenbusch et des abords du canal de la Marne au Rhin.
Les Allemands se sont retirés du secteur en détruisant tous les ponts.
En revanche, ils s’accrochent encore solidement à Arzwilter , les blindés du 12e Chasseurs s’en rendent très vite compte lorsqu ‘ils veulent aller y jeter un coup d’œil.
Minjonnet, lui, qui monte toujours la garde face à Phalsbourg et Saveme, continue de tâter le terrain dans l’espoir de déceler une faille qui lui permettrait de s’y engouffrer. Un de ses éléments, qui a réussi à pénétrer dans Guntzwiller, s’y fait encercler par des forces très supérieures en nombre et doit mener un combat acharné pour parvenir i
Décidément, les Allemands se cramponnent comme des forcenés à Phalsbourg et Saverne pour continuer de verrouiller la N4, seul grand axe pour les convois entre la Lorraine et ! ‘Alsace. Louable obstination, mais le général Bruhn ferait bien de regarder ce oui se passe à la fois sur sa droite et sur sa gauche…
Le GT R ayant récupéré le sous-groupement Morel-De ville et se regroupant entre Lafrimbole et Trois-Fontaines, Leclerc décide de faire passer le GTL par Dabo derrière le GT V.
Dans la soirée, le détachement du Hays rameuté par phonie et suivant Minjonnet, un nouveau flot de blindés défile au pied du rocher du Dabo.
A 23 heures, de Langlade installe son PC au col du Valsberg.
Alors que le commandement allemand ne se doute toujours de rien, deux groupements tactiques sont à pied d’œuvre pour le coiffer à revers par surprise.
De Cirey, Leclerc a déjà transporté son PC avancé à Trois-Fontaines et transmet ses ordres pour le lendemain avant d’emprunter à son tour cette voie réputée infranchissable par des blindés » (2).
La suite est connue, le 22 au malin, dans la salle de l’école de Hengwiller, de Langlade envoie, suivant les ordres de Leclerc, Minjortnet et Massu vers Saverne pour remonter le col et prendre les Allemands à revers.
Minjonnet passera par Reinhardsmunster, St Gall et IHaegen, Massu par Schwenheim pour entrer dans la ville par la brasserie.
Ecoutons Massu commenter son attaque par le sud de Saverne: « L’ennemi, un bataillon de Jàger bien équipés, culbuté à Lafrimbolle au cours d’un sévère combat sous bois par mes vaillants fantassins du Tchad, qui s’emparent du pont de la Sarre blanche intact, je goûte l’ivresse de faire enfin de l’exploitation profonde jusqu’au Rehthal par Abreschwiller, puis jusqu’à Dabo, cartonnant et mitraillant à bout portant quantité d’équipages auto- et hippomobiles, abandonnant des centaines de prisonniers, pour descendre enfin les lacets de la roule, où les fourneaux de mine, approvisionnés par l’ennemi dans les tournants, n’ont pas été allumés – ce qui nous aurait bloqué* pour longtemps-,
et dévaler sur Reinhardsmunster, premier contact avec l’Alsace retrouvée.
Le lendemain, comme si nous nous étions donné rendez-vous, je tombe sur Rouviilois, à l’est de Saverne (3).
Quelques heures plus tard, Phalshourg est prise à revers, ses défenses bousculées, la porte de l’Alsace est ouverte.
Ayant conçu ce plan audacieux, le général (Leclerc) est à Birkenwald, où il met la dernière main à ses ordres pour l’assaut final : la division prend place ce soir sur sa ligne de départ el la franchira demain à 7 h 15 pour marcher sur Strasbourg par 4 itinéraires convergents.
On l’a compris, les Allemands attendaient Leclerc par Sarrebourg et Saverne.
Sur un plan en relief qu’il a fait venir de Paris à Baccarat où il est installé depuis le 3 novembre, il explique :
« La surprise de l’ennemi sera telle au ‘il ne s’en remettra jamais. Pour cela, il ne faut pas passer par Sarrebourg el par Saverne. Les routes importantes seront bourrées d’obstacle, on n ‘en sortira jamais. »
II montre le lacis des routes secondaires qui mènent au carrefour du Rehtal.
« Je sais, c ‘est impossible, donc nous le ferons » ajoute-t-il.
Il convoque trois Alsaciens de son entourage. « Vous qui êtes du pays, que pensez vous de cet itinéraire ? »
Il est tout à fait inutilisable pour une division blindée », lui répondent ils.
«Merci, coupe-t-il. Inutilisable, donc l’ennemi ne nous attend pas sur ces routes.
Nous passerons par là et le 22 novembre, nous serons à Strasbourg » (5)
Extrait de « Mon Village » – Bulletin municipal N°10
Commune de Reinhardsmunster
Décembre 2004
« La manœuvre blindée Saverne-Strasbourg«
(Extrait)
Le 12 novembre 1944, dans son ordre préparatoire d’opérations, le général Leclerc précise son intention.
Elle comporte les principaux points ci-après:
Il faut:
premièrement, pousser dès rupture du front par les divisions d’infanterie américaines un premier échelon de sous-groupements en direction de la trouée de Saverne en évitant les centres urbains, les points de passage obligés et les axes de pénétration importants;
deuxièmement, faire suivre ce premier échelon par les autres éléments de combat de la division en lançant le maximum de moyens sur l’axe le plus favorable.
Cette intention, précise le général Leclerc, se marquera par le dispositif suivant:
— la division agira en deux échelons.
— Premier échelon: les GT(D) et (L) seront mis en alerte sous préavis de 3 heures au sud de la Vezouze après la conquête de l’espace de manœuvre. Ils se tiendront prêts respectivement à pousser sur les axes A et B pour le GT(D), les axes C et D pour le GT(L), étant entendu que ces axes ne sont pas impératifs et que l’essentiel est de pousser le plus loin possible.
Il est précisé en outre au GT(L) que l’itinéraire de Dabo sera plus particulièrement utilisé s’il se révèle libre.
— Deuxième échelon: les GT(V) et (R) assureront initialement la sûreté de la division et du corps d’armée, mais ils se tiendront prêts à pousser derrière les groupements de tête.
— Enfin, l’artillerie divisionnaire renforcée par trois groupes d’artillerie américaine de 155 mm agira initialement en action d’ensemble.
L’exploitation débute le 19 novembre au matin.
Elle est confiée initialement aux blindés du colonel de Langlade qui se ruent conformément aux ordres sur les axes C et D.
Sur l’axe C, le sous-groupement Minjonnet est bloqué deux jours, successivement à Voyer puis à Niederhoff.
Par contre, au sud, sur l’axe D, le sous-groupement Massu, grâce à un appui feu important, fait sauter le verrou de la Sarre blanche à Lafrimbolle.
Immédiatement, il exploite à outrance vers le carrefour de Rethal qu’il atteint le 20 novembre dans la soirée. Alors, entrevoyant les possibilités offertes par la réussite de ce sous-groupement, le général Leclerc engage derrière lui, sur le même parcours, l’ensemble du GT(V) qui «fonce tous phares allumés dans la nuit du 20 au 21 novembre 1944 sur cet itinéraire vosgien».
Au nord, le 20 novembre, les fantassins de la 44e DIUS ont livré au GT(D) le pont de Xouaxange, sur le canal de la Marne au Rhin.
Le colonel Dio fait alors mouvement en force vers le nord avec les sous-groupements Rouvillois et Quilichini en premier échelon.
Le dispositif ennemi est ainsi quelque peu disloqué. Il y a des scènes de désordre, voire de panique. Le commandement allemand, mal renseigné, est dans l’incertitude sur les intentions alliées.
Le 21 novembre, le sous-groupement Massu, rattaché pour emploi au GT(V), après avoir reconnu sans insister les accès de la Zorn, atteint Dabo en fin de matinée. Le lieutenant-colonel Massu rappelle:
«Lancés à travers les plus belles forêts de sapins des Vosges, nous n’avons pas l’esprit à admirer le paysage! Nous ne voyons que
le ravin d’un côté, la montagne de l’autre et cette route, tout en lacets, qui n’en finit pas. Elle était alors beaucoup plus étroite et sinueuse qu’elle ne l’est aujourd’hui. Longtemps après cette équipée, je frémirai encore rétrospectivement à la pensée que j’aurais pu me heurter à une coupure de cet axe, si facile à rendre infranchissable par une division blindée, et je me réveillerai brusquement la nuit tout en sueur en face du précipice…»
Tout à coup, vers 15 heures, une éclaircie à travers les arbres fait apparaître, quelques centaines de mètres plus bas, la plaine d’Alsace […] Je suis sûr que tous les cœurs battent au rythme du mien quand nous atteignons Obersteigen, premier village de la plaine d’Alsace.»
Le 21 novembre au soir, le sous-groupement Massu est en Alsace.
Derrière lui, sous une pluie battante, «les 2/3 de la division, c’est-à-dire les GT(L) et (R) avec le PC du général Leclerc, s’engouffrent sur cet invraisemblable itinéraire de montagne de Dabo».
Au nord, cette même journée du 21 novembre 1944, en accord avec le général Leclerc, le colonel Dio a donné de l’ampleur à sa manœuvre.
Fixant l’ennemi de Phalsbourg avec le sous-groupement Quilichini, assuré sur ses arrières par la prise de Sarrebourg par la 44e DIUS, il engage le sous-groupement Rouvillois sur l’itinéraire de la Petite-Pierre.
Ce dernier bouscule en force dans la foulée, les éléments en retraite de la 11e Panzerdivision (elle se replie vers la chaîne vosgienne, face à la pression de la 3e armée américaine au nord dans la région de la Sarre) et de la 361e VGD. Il atteint, lui aussi, en fin de soirée ce 21 novembre, la plaine d’Alsace.
Le 22 novembre, Saverne est pris par «une manœuvre en tenaille» des sous-groupements Massu et Rouvillois coordonnés par le colonel de Langlade, tandis que le sous-groupement Minjonnet, «dans un élan irrésistible», noté par de nombreux témoins, s’empare du col de Saverne.
Il faut s’arrêter quelques instants sur la prise du col et de la ville de Saverne.
La 2e DB a exécuté, et même au-delà, sa mission initiale: elle tient les débouchés est de la trouée de Saverne. Mais elle est isolée avec pratiquement une seule voie de communication possible, au débit insignifiant, encombrée de véhicules, la route de Dabo.
Aussi, le contrôle de la route nationale 4 entre Saverne et Phalsbourg (ce point d’appui tombe dans la matinée du 23 novembre) est capital pour la division, car il permet, d’une part, l’assurance d’un acheminement régulier en munitions et en carburants; d’autre part, l’avance rapide de l’infanterie américaine indispensable pour la protection des grands arrières de la division.
Mais, surtout, l’exploitation «au plus loin» devient alors possible.
C’est la 3e phase, le 23 novembre 1944, la «charge sur Strasbourg».
Extrait de « La manœuvre blindée Saverne-Strasbourg »
Cousine, André – Revue Militaire Suisse (1982)
Le XVe corps d’armée américain se trouve maintenant en présence de la Vor-Vogesenstellung dont les tranchées et les réseaux s’appuient sur Blamont, Ancerviller, Sainte-Pôle et Neufmaisons. Mines et fossés anti-chars complètent la défense.
Derrière cette position, la Vor-Vogesenstellung barre la trouée de Saverne, de la Petite-Pierre au Donon, son point d’appui principal centré sur Phalsbourg.
A Baccarat, le général a mûrement étudié le problème.
A force de se concentrer sur ses cartes, il a gravé le terrain dans sa mémoire. Chaque jour, il va lui-même « tâter » le front où l’infanterie américaine et ses propres détachements cherchent une fissure dans la Vor-Vogesenstellung.
La Jeep glisse sur la boue, franchit les crêtes entre deux arrivées d’obus, attend devant la porte délabrée d’un P. C. d’escadron de chars que la concentration « bi-horaire » ait pris fin.
Dans un terrain aussi défavorable que possible à toute évolution d’engins blindés, il pousse ses éléments tantôt sur un point, tantôt sur un autre, guettant le premier signe de fléchissement chez l’ennemi.
Depuis trois jours, ses blindés tourbillonnaient dans la région d’Ancerviller lorsque enfin, le 17 novembre, le lieutenant-colonel de La Horie entra par surprise dans Badon-viller, point tellement crucial du dispositif ennemi que le colonel allemand, voyant nos chars y pénétrer, se tira une balle dans la tête.
La Vor-Vogesenstellung se trouve désormais tournée et la route de Cirey est libre.
Ce succès, hélas ! nous coûte cher et c’est à Badonviller même que le général va saluer le corps du lieutenant-colonel de La Horie, son camarade de promotion, et se penchant sur lui, l’embrasse sur le front.
De Badonviller, le général a lancé les auto-mitrailleuses des Spahis sur Cirey où elles entrent dans la nuit du 18 au 19.
Cette incursion brutale par des itinéraires aussi imprévus a complètement désorganisé le dispositif de l’ennemi.
Le général a calculé juste en cherchant comme toujours à passer là où on ne l’attendait pas. Il va maintenant profiter de son avantage et gagner de vitesse un adversaire qui se replie de la Vor-Vogesenstellung.
Dans le salon du château de Cirey où le P. G. avant s’est installé en hâte, le général est debout devant les grands panneaux de cartes sur lesquels travaille son état-major.
Autour de lui, quelques officiers le regardent réfléchir : les jambes écartées, la main gauche dans la poche de son pantalon, il a posé deux doigts de sa main droite sur sa bouche, la tête est baissée, parfois il gonfle les joues et souffle très lentement sur ses doigts repliés.
Phalsbourg et la trouée de Saverne sont fortement tenus… Le passage historique est évidemment bien défendu… Par contre, de chaque côté, dans la montagne…
La tête se relève, la main droite suit le regard, monte peu à peu jusqu’à la tache bleue qui indique les défenses de Phalsbourg, et devant les officiers figés, dans le silence lourd de la petite pièce sombre, esquisse lentement deux courbes, l’une au nord de Phalsbourg, l’autre au sud, en pleine montagne…
La décision est prise, les ordres suivent immédiatement.
Le lendemain, pendant qu’un détachement se présente devant Phalsbourg pour donner le change, deux colonnes contournant largement la trouée de Saverne se dirigent l’une en direction de la Petite-Pierre, la seconde vers Dabo.
En dépit d’une résistance acharnée, les éléments ennemis qui gardent les accès de ces itinéraires sont bientôt débordés et les routes s’ouvrent sur les arrières de l’ennemi, vides, sans mines, sans barrage, vers les crêtes des Vosges.
C’est alors une ruée prodigieuse à travers les hautes forêts de sapins, le long des étroites routes en lacets bordées de précipices.
Les chars lancés à toute allure rencontrent une colonne d’artillerie allemande qui se déplaçait tranquillement, ils l’éventrent sans ralentir et d’un seul élan se trouvent en vue de la plaine que domine à l’horizon la flèche de la cathédrale de Strasbourg.
Le lendemain, 22 novembre, les deux colonnes dévalent les pentes est des Vosges en se rabattant comme deux gigantesques tenailles derrière la trouée de Saverne. L’ennemi ne s’est encore aperçu de rien, que l’étau s’est déjà refermé sur lui. Le général allemand qui commande à Saverne sera fait prisonnier par un équipage d’automitrailleuse qui le rattrapera sur la route alors qu’il se rendait sur ses propres positions.
Quelques heures après, Phalsbourg est pris à revers, ses défenses bousculées, la porte de l’Alsace est ouverte.
Extrait de « Le général LECLERC, vu par ses compagnons de combat »
LE PASSAGE DES VOSGES
16 novembre – 22 novembre 1944
Extrait de « La 2eDB » – Raymond MUELLE – Presses de la Cité – 1990
A l’intérieur de la Division, depuis deux ou trois jours, court la rumeur de la reprise imminente des combats.
La VIIe armée américaine à laquelle la 2e DB est rattachée a reçu pour mission de libérer la plaine d’Alsace de Wissembourg à Strasbourg, et la DB devrait exploiter vers Haguenau, éventuellement vers Strasbourg, les succès des unités alliées.
Dans un premier temps, celles-ci doivent enfoncer la Vorvogesenstellung.
Le 13 novembre, deux divisions d’infanterie américaines attaquent en direction du nord-est, la 79e à l’est, la 44e à l’ouest de la RN 4, la route qui de Lunéville, par Sarrebourg et Saverne, mène à la capitale de l’Alsace.
La Division est prête, impatiente d’en découdre, malgré le temps froid et pluvieux, mais les Américains piétinent pendant deux jours.
L’objectif de Leclerc est évidemment Strasbourg. Il est confronté à un double problème : le choix du bon moment pour découpler ses groupements tactiques et le choix des itinéraires à emprunter pour parvenir au plus vite sur les arrières ennemis dans la plaine d’Alsace.
Son intention est de lancer le groupement Dio par Sarrebourg et Saverne, utilisant la route normale certainement obstruée par de gros obstacles et rudement défendue, et le groupement de Langlade par des routes secondaires, pistes de montagne, moins surveillées, à travers les contreforts vosgiens avec des points de passage comme Dabo et Rethal.
A première vue, le GTD est chargé d’une mission difficilement réalisable en raison de la certitude de l’opposition ennemie, quant au cheminement du GTL suivi par le groupement de Guillebon, c’est apparemment une pure folie sur le plan de la technique du déplacement de lourdes unités blindées.
Mais l’heure de la marche vers l’Alsace tarde à venir. Pour couvrir le flanc droit de la 79e DIUS et l’aider dans sa manœuvre, avec l’arrière-pensée de profiter sans retard de la moindre faille provoquée dans le dispositif ennemi, Leclerc détache le sous-groupement Morel-Deville.
Audacieux, guidés par le curé de Domevre, les spahis occupent Nonhigny et Montreux au nord de Badonviller ; le 16 novembre, ils se replient devant Parux trop solidement tenu.
Avec les mêmes intentions, de son côté, le sous-groupement La Horie tente d’atteindre Badonviller par l’ouest.
La Horie, qui vient d’être promu lieutenant-colonel, y pénètre par un coup d’audace exceptionnel.
Son char de tête détruit le canon de 88 qui interdit l’entrée du village où les Français se ruent.
Le gros détachement, alerté, rejoint le champ de bataille. Deux Sherman, un char léger sont détruits, mais, en une heure, l’agglomération change de main. De part et d’autre les morts sont nombreux mais l’ennemi perd 300 prisonniers, une douzaine de canons.
Leclerc arrive rapidement sur les lieux, oriente la manœuvre.
Les spahis progressent vers le nord jusqu’à Bréménil. Rejoints par le détachement du capitaine Branet, ils subissent des contre-attaques d’une extrême violence. Les combats corps à corps, les tireurs d’élite allemands causent de nouvelles victimes.
Le lendemain 18 novembre, tôt le matin, alors que La Horie vient de donner ses ordres aux officiers, l’artillerie allemande s’en prend à Badonviller. La Horie est tué ainsi que le capitaine Mazieras du RMT, Branet est blessé. De Guillebon avec son GTV prend à son compte le mouvement vers Bréménil.
Depuis Parux qu’il vient d’enlever, Morel-Deville, avant la fin du jour, prend d’assaut Cirey-sur-Vezouze et son pont intact. Le 19, il atteint Lafrimbolle où interviennent avec succès les TD de l’enseigne de vaisseau Philippe de Gaulle. Des abattis sur la route et l’action déterminée d’un bataillon d’Alpenja-gers l’arrêtent pour la nuit. Le sous-groupement Massu le dépasse et bute à Saint-Michel sur les mêmes obstacles. Près de là, Minjonnet, après Bertrambois, s’arrête devant Niderhoff.
Malgré ces résistances efficaces, mais improvisées, la ligne défensive allemande est crevée par la 2e DB, les Américains parviennent à Blâment et à Rechicourt. Leclerc lance l’ordre d’exploitation et, à Cirey, le colonel de Langlade reçoit les directives du général : « Poussez comme une brute ! »
Le 20 novembre, pendant que de Guillebon se regroupe autour de Cirey et que le GTR continue d’assurer la protection des arrières et du flanc droit de la division, Dio et de Langlade amorcent l’attaque.
Pour augmenter sa souplesse de manœuvre, le GTD est organisé en trois sous-groupements.
Celui de Quilichini franchit le canal de la Marne au Rhin à Xouaxange, Bébing est occupé dès 8 heures. Sarrebourg est tout près, deux kilomètres, mais sérieusement défendu, les Américains s’en occuperont. Le sous-groupement, retardé par de nombreux obstacles, continue vers le nord avec le détachement Krers, atteint Sarraltrof, y trouve le pont détruit.
Derrière Quilichini, Rouvillois gêné par les à-coups de la progression et l’encombrement des routes, déboîte largement par Kerprich-aux-Bois avant d’infléchir sa marche vers l’est. Leclerc fait confiance à l’idée de manœuvre du commandant de sous-groupement dont il connaît l’audace, l’esprit de décision. Il sait aussi que celui-ci connaît bien la région pour avoir tenu garnison à Haguenau avant 1940. Rouvillois enlève Haut-Clocher, saisit à Oberstinzel le pont sur le Sarre intact, pousse son avant-garde jusqu’à Rauwiller. A la nuit, Quilichini le rejoint à Oberstinzel, derrière eux le sous-groupement Didelot s’installe à Kerprich.
De Langlade, dès le départ, est durement engagé sur deux axes voisins.
Minjonnet doit, dans un premier temps, enlever Niederhoff qui cède à regret, il traverse la Sarre rouge, pousse en direction de Voyer, point fort de la Vorvogesenstellung. La manœuvre des fantassins combinée avec l’assaut des blindés réussit ; dans ce combat, un des plus durs de la marche sur Strasbourg, l’ennemi compte 80 tués, 120 prisonniers, et perd trois Mark IV, 20 canons de divers calibre.
La coopération blindés-infanterie, parfaitement au point dans tous les groupements tactiques de la division,
est la clé du succès.
Massu s’en prend à l’énorme barrage de troncs d’arbres qui l’a stoppé la veille. Il est bien défendu, mais les fantassins des 5e et 6e compagnies des RMT font la décision. Si le pont sur la Sarre blanche est encore intact, de nombreux barrages et d’innombrables abattis obstruent la route, nécessitant l’intervention du génie et les manœuvres de chars.
A 14 heures, le sous-groupement est à Saint-Quirin, il franchit la Sarre rouge près d’Albreschviller, passe la nuit à proximité de Rethal. Le temps est exécrable, il pleut toujours, mais le moral des hommes est au beau.
Des colonnes ennemies sont rejointes et anéanties, camions, véhicules, pièces d’artillerie qui gênent la progression sont basculés dans les ravins qui bordent la petite route ; les hommes, démoralisés, se rendent en grand nombre.
Derrière Massu, lourde chenille bruyante, vient le GTV du lieutenant-colonel de Guille-bon. La progression de Massu est irrésistible ; le 21 novembre, à 8 heures, il dépasse Retrial, franchit le col de Dabo deux heures plus tard, surtout gêné par les abattis. Les unités ennemies rencontrées sont en pleine déroute et le carnage se poursuit tout le long de l’itinéraire. Après le Wolfsberg, vers 15 heures, la plaine d’Alsace est en vue, son premier village, Obersteigen, est dépassé ; Massu a traversé les Vosges. A la nuit, son sous-groupement stationne dans la zone d’Hengwil-ler, se préparant à marcher sur Saverne, à une dizaine de kilomètres au nord.
Le sous-groupement Minjonnet, après Voyer, un moment accroché à Guntzviller, a rejoint Dabo ; en fin de journée, il rejoint Obersteigen.
Au nord, Quilichini, avec le 2e escadron du 12e cuirassiers et deux compagnies du RMT, dépasse assez facilement Mittelbronn, mais bute sur Phalsbourg, subissant des pertes. Le capitaine Bouission est tué, plusieurs officiers blessés, la carcasse du Sherman Bourg-la-Reine marquera le point extrême de l’avance de la journée. De son côté, Rouvillois continue par Schalbach où est tué le lieutenant Corap, Siewiller et Peters-Bach, atteignant en début d’après-midi le col de la Petite-Pierre. Là, à peu de frais, dans une indescriptible pagaille d’unités en retraite, il tue plusieurs centaines d’hommes à l’ennemi, s’emparant d’un millier de prisonniers et d’un matériel important.
75 PAK détruit au cours de la percée vers l’Alsace.
L’armée allemande, bien équipée en armes antichars,
est parfaitement rompue à ce type de combat.
Saverne est à la portée de la 2e DB. Certes Leclerc pourrait foncer directement vers Strasbourg, mais le contrôle de la RN 4 lui apparaît essentiel pour l’acheminement des munitions et du carburant, pour permettre aussi l’avance de l’infanterie américaine. Alors, s’emparant de Saverne, dégageant la trouée en prenant Phalsbourg à revers, les unités de la 2e DB pourront disposer sans problème des appuis nécessaires à sa chevauchée victorieuse.
22 novembre. Comme dans un carrousel parfaitement réglé, les sous-groupements convergent vers Saverne où ils pénètrent en même temps au début de l’après-midi. Rouvillois vient du nord, Massu de l’est, Minjonnet du sud-ouest ; lui ne fait que traverser l’agglomération avant de filer vers l’ouest, vers Phalsbourg.
Les jeeps, plus maniables, roulent en tête ; derrière elles les chars tirent sur des objectifs fugitifs. Au passage, parmi l’immense butin, le général Brunh, commandant le secteur de Saverne et la 55e division de grenadiers, est capturé avec une partie de son état-major, après une course poursuite, menée avec deux jeeps du RBFM par l’aspirant Bastolet, digne du meilleur western.
A la sortie de Saverne, le franchissement du canal et de la Zorn n’offre pas de difficulté, l’ennemi, pris à revers, n’a pas eu le temps de s’installer en défensive.
Le sous-groupement Minjonnet s’engage sur la route qui, vers l’ouest, à travers la forêt mène au col qui est passé sans encombre ; au bas de la descente, autour du carrefour des Quatre-Vents, les Allemands sont en place.
Un TD du RBFM détruit un 75 PAK mal camouflé, mais, de part et d’autre, depuis la forêt, se révèlent d’autres canons, 88, 75, 20 mm. Les plantations de sapins, trop denses, interdisent toute manœuvre aux chars, l’infanterie entre en scène. Le débordement, mené des deux côtés de la route, est difficile ; les pièces d’artillerie allemandes sont protégées par les mitrailleuses de deux compagnies de fantassins déterminés. Il faut plusieurs assauts, une manœuvre plus large pour venir à bout de la position.
Le lendemain, à l’aube du 23, les chars s’élancent, les cavaliers pressés peuvent constater au passage que les marsouins ont neutralisé une quinzaine de canons de différents calibres, autour des pièces gisent de nombreux cadavres, la lutte a été chaude.
Aux lisières de Phalsbourg, le contact est pris avec la 44e DIUS. Quilichini, Minjonnet, Didelot auront en charge le nettoyage de la trouée de Saverne, tandis que le reste de la division marchera sur Strasbourg. Car, le 22 novembre, dans ses ordres pour le lendemain, le général Leclerc lance la charge de ses sous-groupements en Alsace par quatre itinéraires différents.
De Badonviller à Cirey sur Vezouze
Général Rouvillois
Le 17 novembre, dans un terrain parsemé de mines, d’abattis et de bourbiers dont il faut fréquemment extirper sous le feu les véhicules, le groupement de tête, Morel-Deville attaque avec fougue. « Au milieu de ses gens jetés dans la mêlée », écrit le général Rouvillois, « Morel-Deville conjugue le culte que portent ses spahis à l’infiltration hardie, le sens qu’ont de l’abordage ses blindés, la pugnacité de ses fantassins dans les corps à corps et la mobilité des feux de ses artilleurs, dont cadres et servants ont une mentalité de volants. Profitant, à l’origine des tirs d’artillerie massifs des deux divisions US, à la jointure desquelles il livre la bataille de rupture, ce cavalier blindé crée une faille dans laquelle il se lance impétueusement avec ses seuls moyens.
Alternativement, il se déploie pour rechercher une fissure profonde, puis se recroqueville pour donner le coup de boutoir. Il encercle le réduit de Nonhigny sur la ligne d’arrêt allemande et s’en empare, puis il fait volte-face et balaie à revers les avancées de la position. Il met alors cap au sud, prend Parux et appuie le 18 au matin les éléments débouchant à sa droite de Badonvillier dont le sous-groupement La Horie s’est emparé la veille par une charge audacieuse au moment où le commandement adverse y jetait en renfort un bataillon de chasseurs. Sans laisser à l’ennemi le temps de souffler, il s’engage dans la forêt, détruit les dernières résistances.
Atteignant au crépuscule Cirey, il bondit jusqu’aux lisières nord et est de la ville et s’assure dans la nuit la possession des ponts intacts sur la Vezouze. Le lendemain 19, avec des réservoirs et des soutes à peu près vides, il marche sur Lafrimbolle, où il est stoppé par un bataillon de chasseurs s’appuyant sur des destructions. »
Le 19 au matin, Leclerc se rend à Cirey. Malgré les tirs qui continuent, il veut constater par lui-même la situation tactique de l’avant et être là « où seul le chef, informé du déroulement de la bataille et disposant de réserves, peut arracher sur-le-champ une victoire qui serait coûteuse quelques heures plus tard. » En arrivant sur place, Leclerc connaît les derniers succès des deux divisions US, qui maintiennent le rythme de leurs attaques malgré les intempéries. Leur pénétration profonde dans le dispositif adverse fait perdre à l’ennemi la liberté d’action. Il estime donc que la rupture de la ligne d’arrêt ennemie doit avoir lieu au plus tôt et que l’exploitation doit immédiatement suivre, afin de ne pas permettre à l’ennemi de se réorganiser pour diriger
une manœuvre retardatrice. « Course au cols, telle est la volonté qui doit ruisseler en cascade jusqu’au chef de patrouille. Il communiquera le même perçant à tous les exécutants qui adapteront leur manœuvre au terrain : des Vosges, deux routes escarpées plus favorables aux embouteillages qu’aux déploiements et sur le plateau lorrain, variété de chemins qui permettent des chevauchées lointaines. »
Leclerc aère son dispositif en confiant au groupement Guillebon des missions de flanc-garde agressive. Il rassemble en hâte le groupement Langlade et le lance vers le lointain carrefour de Rethal, sur deux itinéraires dont les sous-groupements Morel-Deville et Dio fouillent déjà les abords. Les patrouilles de ces deux sous-groupements livrent des renseignements et des cheminements qui réduisent le délai nécessaire à une action en force.
Lafrimbolle :
C’est dans la nuit du 19 au 20 que se joue le succès du lendemain. Au sous-groupement Minjonnet, axe ouest, les reconnaissances profondes interdisent au détachement blindé-porté allemand qui lui fait face, de s’esquiver vers le nord et de couvrir à temps le carrefour de Rethal.
Au sous-groupement Massu, sur l’axe est, des infiltrations hardies amorcent l’encerclement d’un bataillon de chasseurs qui, après une violente préparation d’artillerie, sera traité au corps à corps dans les premières heures du jour. (Le récit des combats et la percée du Sous-Groupement sera fait en détail au Monument de Lafrimbolle).
« Ça va, le Général a lâché Massu. » C’était le lendemain, vers 10 heures, la remarque laconique d’un vieux sous-officier du Tchad qui avait la prétention (justifiée) d’en remontrer à l’Etat-Major.
Le 19 au soir, rameuté à son tour, Massu avait jaugé l’obstacle ( de la Sarre Blanche). Conduits par Morel-Deville, sa grande silhouette, ses traits un peu fermés, avares de paroles (son travail se fait en dedans), avaient remonté la colonne. Le feu s’était fait de plus en plus nourri. A l’A.M. de tête son adjoint, le capitaine Lucien, avait été touché.
La barrière ne pouvait décidément être abordée de front. Une attaque en règle était montée le 20 au matin. Appuyées par toute l’artillerie du groupement, deux compagnies entières manœuvreront en
passant à travers bois pour rejoindre la route 2 kilomètres plus loin, au pont même de la Sarre. La tâche est dure et les Jäger coriaces. Mais, pendant que le canon donne à plein, les fantassins du Tchad y vont avec leur activité et leur résolution coutumières : la machine est bien rodée, peu d’ordre sont nécessaires ; les Jäger et leur bel équipement tombent par paquets, puis se disloquent. A 9 h. 30
la route est ouverte. La colonne s’y engouffre.
Rethal
Et sur-le-champ, c’est l’exploitation. Ce passage de la rupture à la poursuite », « impose une adaptation immédiate du dispositif à une conjoncture favorable mais fugitive. Les difficultés sont multiples : enchevêtrement d’unités éprouvées, destructions et abattis renforcés par des véhicules en flammes auprès desquels quelques isolés persistent à faire le coup de feu. Il est impératif de prendre l’ennemi de vitesse, ce n’est pas une question d’heures mais de minutes pour que le repli ennemi se transforme en déroute, la retraite en débâcle, parce que les cadres adverses harcelés, débordés, épuisés, perdent toute notion d’anticipation et, en particulier le réflexe de bondir à temps sur les points de décrochage préparés autour desquels ils pourraient se rétablir. » Vingt-cinq kilomètres sont ainsi parcourus sans arrêts et le carrefour de Rethal est occupé au crépuscule du 20 Novembre.
De Dabo à Obersteigen : ( Source document Fondation MLH )
Le 21 au petit jour, le mouvement reprend, Massu en tête, suivi par tout le groupement de Guillebon. Minjonnet passera ensuite, et le groupement Langlade, séparé ainsi en deux tronçons, ne se recollera que dans la plaine.
Le pont d’Hazelbourg, les défenses de Dabo sont vides (nous trouverons à Saverne l’ordre de les garnir d’urgence), Dabo même est atteint après un petit combat. Une batterie de 88 qui retraite a cependant barré la route à la sortie de la clairière : les deux heures de répit que lui laisse le dégagement des arbres vont-ils lui permettre d’esquisser une parade, ou au moins de mettre en œuvre les destructions qui risquent de retarder considérablement la descente ?
La petite chapelle papale qui a vu sur cette route les moyenâgeuses vicissitudes des évêques et des comtes domine de son assise rocheuse le groupe de sapeurs qui scient les grands sapins couchés et qui en mettent un coup, je vous le jure. D’un geste de sa canne, Massu remet la colonne en marche vers l’Alsace.
Et, l’après-midi, les nouvelles s’échelonnent. La colonne filiforme descend encore 20 kilomètres de raides lacets dans la forêt, débouche et s’étale aux premières clairières sur la plaine (Obersteigen). Birkenwald, Reinhardsmunster, Dimbsthal, Allenwiller. A Singrist, elle coupe la grande route entre Marmoutier et Wasselonne, où de nombreuses voitures militaires qui circulent, l’esprit en repos, tous phares allumés, viendront buter et se faire massacrer à nos bouchons. La défense allemande se renferme entre les murs qui ont sur place leur garnison; ailleurs, les villages alsaciens retrouvant les nôtres s’essaient à reparler leur français. Et parce que le vocabulaire est rare, que les mêmes mots sont répétés, cette rencontre garde un air grave. Elle en est plus dense de tout ce qui n’est pas exprimé, plus solide derrière la pudeur des gestes inachevés. Et les premiers quartiers sont pris dans toute l’austérité de la guerre.
Carnet d’un cavalier
par Jacques BRANET
21 novembre, 7 heures : nuit calme. Il paraît que nous avons été bombardés. On ne sait plus où est Massu qui mène l’attaque. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il est loin.
10 heures : subitement, ordre de départ.
Notre sous-groupement, gardant l’initiale « H » en souvenir de La Horie, est aux ordres du commandant Debray.
En route.
La forêt vosgienne est presque continue. Tout le parcours est jalonné de débris ennemis.
Cadavres d’hommes et de chevaux, canons, camions éventrés, jonchent les fossés. Massu a dû faire du bon travail…
J’apprends par la suite que Rouvillois, très au Nord, a fait la même chose.
En somme, les deux divisions américaines sont restées sur place, et la nôtre, profitant des trous, s’est élancée vers les cols.
La colonne serpente en grimpant dans la forêt. Des à-coups se produisent de temps en temps. Les chars peinent parfois. Gros halètement des diesels, et ronronnement assourdissant des moteurs à essence.
Il suffirait d’un rien pour couper la route, quelques cailloux ou rochers roulés des cimes, à la manière antique. Un ou deux « snipers » dans les arbres tronçonneraient cette colonne, et les débris devraient se battre sur un front de dix mètres, entre un talus infranchissable et un ravin escarpé…
16 heures : le jour doit tomber de bonne heure. Il fait très gris. Le half-track de commandement suit ma Jeep. Derrière viennent les chars. Mon fidèle conducteur a été blessé avant-hier. A l’usage de son remplaçant, le petit Boverat qui me suit depuis 1941, je monologue : « Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mon vieux, que nous passons les Vosges. Et que c’est… incroyable comme culot ! » Et lui de répondre complaisamment : « Mais oui, mais oui, mon capitaine… »
Un avion ! On braque sur lui les mitrailleuses de D.C. A. Il reste loin. Le ciel est très bas. Heureusement ! Wallerysthall, Hazelbourg… vallées encaissées.
Au seuil des maisons, des gens inlassablement agitent les mains ; certains arrachent les écriteaux allemands. A un carrefour, des spahis en bouchon.
17 heures : la nuit tombe. Le col, enfin, Dabo. Il fait froid. La colonne ininterrompue descend sur l’Alsace. La nuit est tombée maintenant. Interdiction de mettre les phares ; derrière nous, d’autres n’ont pas cette prudence.
Doucement, dans la nuit absolue, les chars descendent entre les sapins. Encore des chars en bouchon… Silhouettes en bérets : ils sont du régiment… Enfin, arrivée dans la vallée. L’Alsace !
20 heures : le commandant nous fait affecter un secteur de Birkenwald pour nous installer et éventuellement nous y défendre.
21 heures : pas d’histoires. Repos. Sentinelles et chars sont aux issues. Dans le village continuent à déferler camions et automoteurs d’artillerie, qui vont plus loin se mettre en batterie. Je plains les artilleurs qui couchent toujours dehors…
Les Vosges sont franchies par notre groupement entier, qui a suivi le sillage de Massu. Nos arrières sont à quarante kilomètres de l’autre côté de la montagne… ce qui se passe de commentaires.
Une maison alsacienne bien propre. Il fait chaud. Un vieux tout ridé, qui ne parle pas le français. Deux filles. Un dîner improvisé dans une cuisine luisante d’astiquage. Mon groupe de commandement est avec moi. Un lit extraordinaire pour s’étendre, avec un édredon prodigieux. L’électricité marche… Miracle !
22 novembre : nuit sans incident. Le soleil perce à travers le brouillard. Dans les prairies, les artilleurs s’ébrouent. Je vais aux ordres. Nous allons prendre Marmoutiers — c’est tout à fait à côté. Renseignements généraux : on fait « tête de pont » en Alsace. Massu est devant nous, déjà reparti sur Saverne. Nos interprètes du 2e bureau téléphonent en boche dans tout le secteur (oui, le téléphone marche !) pour semer le désordre. La 2e compagnie du régiment a coupé la grande route de Saverne à Sélestat la veille au soir, juste devant nous. Ses chars embusqués aux issues ont canonné et détruit tous les véhicules ennemis qui innocemment circulaient tous phares allumés.
…/…
Composition du S/groupement MASSU (La Frimbolle-Dabo-Obersteigen)
Chef Lt-Col MASSU
Adjoints : Cne MOLLOt du RMT
Cne LUCIEN du RBFM
Compagnie hors rang du 2e Bataillon : Cne de la Simone
Compagnie d’accompagnement du 2e Bataillon: Cne Eggenspiller
5ème compagnie de combat aux ordres du Cne Rogier
6ème compagnie de combat aux ordres du Lt Renaud
2ème escadron du 12e RCA aux ordres du capitaine de Vandières
Peloton de spahis du 1er RMSM aux ordres du Lt Rouxel (3ePon du 2e Escadron)
Peloton de Tank-Destroyers du RBFM aux ordres du EV Durville
Section de sapeurs du 13e génie de Chollet
DL du cne Ramières, cdt la 3e Batterie du 40 RANA
Allocution de DABO
par le général Jean-Paul MICHEL (2s)
Président de l’Association de la Maison des Anciens de la 2e DB
& de la Fondation Maréchal LECLERC de HAUTECLOCQUE
(à l’occasion de l’inauguration de la Route MASSU en octobre 2019)
DABO reste dans l’histoire militaire comme l’action réussie ayant permis de faire sauter le formidable verrou installé par les allemands au nord de saverne. Cette manoeuvre en tenaille par le Nord avec La Petite Pierre et Dabo n’est pas due aux circonstances favorables dans la conduite opérationnelle mais a bien été planifié dès le 12 novembre par Leclerc. Le succès de cette action repose à mon avis sur 3 traits de caractère, la hardiesse, la fougue et l’obsession.
La Hardiesse de Leclerc tout d’abord de l’avoir planifié. Alors qu’il étudiait la carte, il avait fait venir des lorrains et alsaciens connaissant bien cette région en leur demandant ce qu’ils pensaient de l’itinéraire passant par Dabo. Unanimement, tous lui répondirent que ce n’était pas envisageable. Il leur rétorqua alors : « les allemands vont certainement penser comme vous et c’est pourquoi nous allons tenter de passer par là».
La fougue du Lieutenant-Colonel MASSU a permis que cette manœuvre soit rondement menée profitant complètement de l’effet de surprise. Son sous-groupement était devenu depuis la Normandie un outil opérationnel parfaitement huilé où l’équilibre entre fantassins et cavaliers avait été parfaitement trouvé.
Enfin l’obsession de la cathédrale de Strasbourg habitait toutes les têtes des gars de Leclerc. Le Serment de Koufra leur a fait franchir les Vosges d’un seul élan.
Mais, toutes proportions gardées, La percée du Dabo c’est un peu la revanche de 1940. Rapellons nous. Nous n’avions pas construit la ligne Maginot au niveau des Ardennes, estimant que les Allemands n’emprunteraient jamais cette zone pour leur attaque.
Massu est en quelque sorte en 1944, le Gudérian de 1940.
La réussite du Dabo a eu des répercussions importantes sur la suite du conflit.
Au niveau opérationnel, le XV° corps US grâce à la 2°DB, a conquis la plaine Nord de l’Alsace en 48:00. Cette progression inimaginable vaudra la reconnaissance des USA qui décoreront les gars de Leclerc de la Presidential Unit Citation.
Au plan du moral, cette victoire qui a semblé facile a créé le doute dans l’esprit des hommes de la Wermacht. A partir de cette période, beaucoup d’unités allemandes se rendront relativement facilement. Leur pugnacité n’est plus la même.
Enfin au plan stratégique, cette percée a permis aux Alliés de border le Rhin avant l’hiver et ainsi de pouvoir préparer dans de bonnes conditions la reprise des combats de début 1945. Cette base d’assaut constituée par la plaine d’Alsace, aura certainement permis d’aller au devant de l’Armée rouge à un bon rythme. Sans cela, les frontières européennes de mai 1945 en auraient très certainement été modifiées.
Ainsi Mr le Maire, votre bourgade est depuis connue de tous les stratèges militaires experts de la 2e GM.
Le franchissement du col de Walsberg par Dabo, reste comme l’exemple type de la mission d’exploitation réussie par une division blindée lourde sur un terrain difficile.
En ayant bien voulu organiser cette cérémonie, vous commémorer ce haut fait d’armes. Nous vous remercions aussi d’avoir rallié les communes qui ont accepté de porter le label de « route du sous-groupement Massu » en reconnaissance à leurs libérateurs.
Mais, avec Mme Lebarbenchon maire de St Martin de Varreville, commune de départ de la voie de la 2e DB, nous ne pouvons que vous inviter à rejoindre les bientôt 110 communes ayant, comme la vôtre, une histoire indélébile avec les gars de Leclerc.
Vous rallierez alors ceux qui avec nous souhaitent contribuer au devoir de mémoire pour « répandre le patriotisme » parmi les populations comme Leclerc l’avait demandé à ses hommes à la fin de la guerre.
Nous avons ressenti qu’il existait encore à Dabo, la trace de la 2e DB. Ce serait dommage de ne pas l’exploiter.
Vive Dabo, vive la 2e DB et vive la France !