Dompaire
(La 2e DB- Général Leclerc – En France – combats et combattants – 1945)
Vittel offrit cette après-midi-là un spectacle assez extraordinaire. La liesse générale, les cohortes de prisonniers, le retour triomphal du maquis s’y complétaient par l’agitation au camp des internés anglo-saxons. Massée en grappes contre les grilles qui entouraient le quartier des hôtels, sur les ponts qui les faisaient communiquer et à toutes les fenêtres, une foule de trois mille personnes prisonnières depuis quatre ans et où dominait l’élément féminin manifestait bruyamment à tous les passages de nos véhicules. Une soixantaine de Sénégalais associés aux internés pour les corvées courantes se tenaient un peu en retrait et s’épa-nouissaient en un sourire plus réservé. Le Général fut vite reconnu. Il eut le courage de se faire ouvrir la grille et de rentrer. « Je vous dois bien une visite, dit-il. L’Angleterre nous a offert l’hospitalité en 1940 et nous a généreusement soutenus. L’Amérique nous a donné des armes et combat sur notre sol. Je suis heureux qu’il soit donné à un général français de vous rendre votre liberté. »
Ces clameurs bourdonnaient encore dans nos oreilles au P.C. de Valleroy-le-Sec, où nous nous installons vers 18 heures. D’autres nouvelles nous y rejoignent. Des habitants signalent un déplacement important de chars et d’infanterie de Bains-les-Bains vers Darney. Sur la route de Darney à Damas, Minjonnet a pris une équipe boche occupée à flécher l’itinéraire, on se demande pour qui. Aux aguets devant Damas et Dompaire, ses hommes et ceux de Massu entendent la nuit se remplir de bruits de chars. Leur flair est affirmatif : il y en a beaucoup, et du lourd.
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Il est donc encore plus impérieux d’attaquer sans délai. Mais tous les gestes doivent être plus soigneusement mesurés. Pendant que le grou-pement de reconnaissance va marquer Darney au plus près et que Minjonnet attaquera Damas, puis coupera la Nationale 66 entre Dompaire et Epinal, Massu abordera Dompaire. Nos artilleurs, sans qui nulle action importante n’est plus entreprise, capables à chaque instant d’intervenir très en avant, reconnaissent le terrain et se mettent en place dans la nuit.
Les deux villages de Dompaire et de Lamerey sont placés en longueur et bout à bout dans un sillon, celui de la Gitte; leurs vergers remontent ses deux versants en pente douce, plus abrupts dans le fond bordé de maisons. Les chars ennemis, un bataillon complet et tout neuf de quarante-cinq Panther accompagnés par de l’infanterie et de l’artillerie, s’y rassemblent dans la soirée et dans la nuit. Une partie de la colonne qui vient d’Epinal bifurque 2 kilomètres avant d’arriver et gagne le village de Damas, lui aussi dans le sillon de la Gitte, un peu en amont. Ils commirent la lourde faute de rester presque tous dans ce fond, de ne pousser aux lisières qu’une partie de leurs moyens.
Le peloton de chasseurs de chars (lieutenant de vaisseau Allongue) qui accompagne Minjonnet, après avoir guetté, soupesé, interprété tous ces bruits de la nuit, repart avant le jour, direction Damas. Brusquement, avec une soudaineté qu’il n’avait pas imaginée, le voilà dans l’action : un, puis deux Panther apparaissent ; les coups s’échangent, rapides, saccadés, répercutés bientôt par l’infanterie qui se révèle aux lisières des fourrés. Le premier Panther a été abattu d’entrée, le second s’esquive et revient, d’autres sont signalés. Les quatre destroyers, seuls en avant avec les petites Jeeps qui leur servent d’éclaireurs, se déploient à défilement de la crête. La sécurité de tout le sous-groupement qui suit repose sur eux. L’ennemi hésite, le combat si brutalement engagé reste tout à coup en suspens ; seuls s’entendent et s’amplifient les bruits de ses chars qui montent à la rescousse sur l’autre pente.
Ce flottement lui est fatal. Les destroyers ont alerté les Sherman du 12e Chasseurs, qui arrivent, bientôt suivis par les avions : l’initiative nous est définitivement acquise.
Devant Dompaire, où les Panther semblent littéralement grouiller, Massu borde la lèvre sud du sillon. Il a poussé son infanterie au centre, puis à gauche, comme un félin avance ses pattes. Dès que l’autre bouge, il s’arrête et l’écrase sous le feu de son artillerie et de ses chars. Les Panther s’inquiètent. Quelques-uns essaient de remonter l’autre versant, protégés en partie par leur propre artillerie. Nos pièces musellent leurs canons, nos chars les prennent à partie.
A point arrive la première mission d’air-support. La coordination difficile de l’air et de la terre a fait l’objet d’une longue mise au point, à laquelle s’est patiemment attaché le commandant de Person. Voici la récompense de ses efforts : les Thunderbolt sont appelés et guidés par l’officier américain qui nous est attaché, le sympathique colonel Tower. Son char, équipé en radio, est à portée de voix de Massu. Ecouteurs aux oreilles, tout son buste est dehors; sa figure, plissée par l’effort qu’il fait au micro pour se faire comprendre de son troupeau encore lointain, se détend et se tourne radieuse vers ses camarades quand enfin les pur sang emplissent le ciel. Encore quelques mots au micro et les piqués commencent : la jubilation de Tower gagne tous nos officiers et nos hommes.
Le Panther n’aime pas ça : immédiatement il se tait et se cache. L’occasion est vite saisie : Massu pousse à gauche son infanterie, déborde le village, franchit la Gitte et pousse en position propice quelques chars, cependant que Minjonnet, qui a pu d’un seul coup coiffer Damas, prend maintenant à revers toute la rive gauche du vallon. Quand, les avions partis, les Panther essaient de ressortir, ils se heurtent à de nouveaux feux mieux placés.
L’air-support viendra quatre fois dans la journée : chaque fois le groupement pousse son avantage. Un second bond porte Minjonnet au carrefour de la route d’Epinal, coupant à l’ennemi sa retraite. Pressant au cœur de l’essaim, Massu l’enveloppe, occupe le cimetière, commande au plus près les sorties. Les Panther sont un à un décimés, moitié par les avions, moitié par nos chars et notre artillerie. Ceux qui restent, d’inquiets deviennent affolés, puis hystériques : les villageois qui risqueront un œil hors de leur cave les verront passer et repasser en courts trajets brusques, aborder dans les vergers des itinéraires impossibles, s’enfourner dans les hangars, chercher à défoncer une façade de maison pour se trouver un toit. Jusqu’à ce que, abandonnant une fuite éperdue et impossible, les quelques équipages restants abandonnent intacts leurs derniers chars. Trente à Dompaire, treize à Damas, épars dans les rues et dans les vergers, plaque de fabrique du 15 août 1944. Lorsqu’ils avaient jugé la situation perdue, les officiers s’étaient groupés autour de leur commandant, avaient pris les mitraillettes de leurs hommes et étaient partis à pied se frayer un passage vers l’est : une consigne leur enjoint de préserver les cadres précieux de l’éternelle Allemagne !
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Et voilà que, à peine calmé à Dompaire, le bruit se rallume sur nos arrières. Les chars regroupés à Darney, que nous saurons ensuite être les Mark IV de la 112e Panzerbrigade, dont le bataillon lourd venait d’être détruit, attaque de Lorrain vers Ville-sur-Illon. Ils sont accompagnés des deux bataillons d’infanterie de la brigade : les spahis les avaient signalés grouillant vers Jesonville et avaient fait de leur mieux pour les inquiéter.
Pressés par les appels de Dompaire, ils finissent par se mettre en place vers 16 heures et débouchent à revers sur le P.C. du colonel de Langlade. Les quelques tubes hétéroclites qu’on laisse en général à un Etat-Major, immédiatement épaulés par la concentration massive de l’artillerie et par les destroyers rameutés en hâte de Damas, leur tiennent tête, tandis qu’une dernière mission d’air-support, détournée à la dernière minute d’un autre objectif, vient achever de les dégoûter. Ils laissent encore sept chars sur le terrain. L’intervention des Thunderbolt, encore une fois si heureuse, il est donné exceptionnellement aux nôtres d’en remercier un pilote. Toujours, leur travail terminé, ils repartent vers un lointain aérodrome, anonymement suivis du regard. Cette fois, dans la fougue du piqué, un Thunderbolt heurte un arbre. Le pilote, par une chance inouïe, en sort indemne : fêté et couché à la popote, il demande timidement qu’on le rapatrie à sa base… à Rennes !
Entre Damas, Dompaire et Ville-sur-Illon, le 13 septembre avait coûté à la 112e Panzerbrigade, fraîchement équipée en matériel neuf, débarquée de quelques jours, en route pour contre-attaquer le flanc de la 3e Armée, cinquante-neuf chars.
Elle en avait en tout quatre-vingt-dix. Le reste de la brigade, indécis le 14, se replie sur Epinal le 15 : il ne pourra plus être remployé que pour une molle contre-attaque sur Lunéville le 19, puis la 112e disparaîtra de l’ordre de bataille.
Von Manteuffel, à qui on avait confié trois de ces unités nouvelle version, était, paraît-il, anxieux d’en faire l’expérience.
« LA BATAILLE DE DOMPAIRE »
Colonel De Langlade
(Extrait de CARAVANE n° 477 – 4ème trimestre 2017)
Les combats de Dompaire sont terminés. Ils se soldent par un éclatant succès.
Les carcasses de chars qui parsèment le paysage permettent de juger de la réussite de l’opération et de dénombrer très exactement les pertes infligées à la 112e Panzer-Brigade.
Cette formation armée de matériel neuf (les chars portent la plaque de fabrication avec la date du 15 août 1944) a perdu quarante-deux chars entre Dompaire et Damas.
Sur le croquis établi d’après un relevé effectué quelque temps plus tard, on voit les emplacements des chars détruits et non récupérés à l’époque. Avec ceux détruits à Ville-sur Illon, ceux trouvés abandonnés entre Damas et Châtel par le raid du détachement FALLU, le 14, et ceux mis hors de combat ce même Jour, lors de la contre-attaque exécutée en direction de Damas le total est de cinquante et un. La Brigade en comptait quatre-vingt-dix.
Après une molle contre-attaque sur Lunéville le 19 septembre, la 112e Panzerbrigade disparaîtra de l’ordre de bataille et, avec elle, la dernière force blindée dangereuse que possédait encore l’Armée allemande.
Le 19 septembre, à la suite du communiqué officiel, la radio propageait dans le monde entier, sous le titre : «Commentaires des nouvelles », l’information suivante :
« Une formation de la 2ème Division Blindée correspondant à l’effectif d’une brigade, a détruit plus de 65 chars ennemis pendant les journées des 13 et 14 septembre dans la région de Dompaire (Vosges). Ce fait d’armes est le meilleur enregistré depuis le 6 juin. »
Le 19 septembre également, le Colonel de LANGLADE, Commandant le Groupement Tactique, écrivait la lettre suivante à Monsieur le Général de Corps d’Armée KOENIG, Gouverneur Militaire de Paris:
« Le Général LECLERC, Commandant la 2ème Division Blindée m’a exprimé le désir qu’une Section de chars Panthers Mark V vous soit envoyée pour être mise comme trophée à la Ville de Paris.
J’ai l’honneur de vous faire présenter cette section composée des deux seuls chars Panthers en état sur les 65 chars détruits par le Groupement Tactique Langlade, les 13 et 14 septembre 1944 dans les combats livrés par la 2e Division Blindée autour de Dompaire et de Damas, près d’Epinal ».
Signé : LANGLADE.
La section de chars Panthers arriva à Paris par la route, le 25 septembre, non sans avoir provoqué sur son passage de nombreux incidents, Les populations des villages traversés et certaines unités de l’armée crurent en effet avoir affaire à des chars allemands égarés dans nos lignes en dépit des drapeaux tricolores dont les équipages s’étaient parés. Ces chars arrivèrent cependant sans encombre le 25 septembre et furent placés à l’entrée des Invalides où ils sont encore au moment où ces lignes sont écrites (*).
Le Général KOENIG répondit au Colonel de LANGLADE la lettre suivante :
« Mon Colonel,
Merci pour votre « cadeau » peu banal. Vos oiseaux seront installés sur l’Esplanade des Invalides.
Et surtout, tous mes compliments pour vos combats des 13 et 14 septembre. Quel magnifique tableau !
Votre très sincère ».
Signé : KOENIG.
Extrait du livre : « EN SUIVANT LECLERC D’ALGER A BERCHTESGADEN » du Général Paul de LANGLADE
(*) ils sont aujourd’hui au musée des blindées à Saumur.
14 septembre 1944
BATAILLE DE DOMPAIRE
par le Maréchal des logis Thomasse
40e Régiment d’Artillerie Nord Africain / 5e Pièce (2e Batterie)
(Source : https://histoire-lorraine.fr/ )
DOMPAIRE : DANS LES BETTERAVES
Le 12 septembre 1944 en fin d’après-midi, nous arrivons sur le plateau entre Ville-sur-Illon et Damas. Le half-track de commandement est embusqué au coin d’une haie, bien camouflé. Il tombe une pluie fine et froide. Vers 22-23h00 le commandant Minjonnet se trouve à quelques centaines de mètres de notre observatoire II réunit tous les commandants d’unité des différentes armes présents dans le secteur Tchad, 12e RCA, 40e RANA. Le capitaine Crespin me demande de l’accompagner pour prendre également connaissance de la situation. Nous sommes 5-6 à participer, tous à genoux, en rond, dans un fossé tout détrempé, situé derrière un repli de terrain. Nous sommes penchés sur la carte dépliée du secteur, un ciré posé sur la tête des participants pour protéger ce document de la pluie, et éclairés par une lampe de poche. Le commandant nous explique que nous formons une pointe extrême, en avant de l’ensemble de la DB et presque encerclés. Une brigade de chars allemands se trouve à Dompaire à 3 kilomètres au nord-ouest de notre position. Evaluée entre 80 et 90 blindés Mark IV et Panther elle constitue une force énorme, d’une puissance de feu extraordinaire. Il faut donc prendre des dispositions exceptionnelles pour la nuit. Le capitaine me demande de ne pas informer les gars de cette situation pour ne pas les apeurer mais de renforcer, doubler ou tripler la garde. Personnellement, je craignais la visite de patrouilles allemandes. En Normandie elles avaient pu faire des prisonniers derrière les lignes et je n’avais aucune envie de tomber entre leurs pattes. A part quelques rafales de mitraillettes et mitrailleuses et quelques explosions, la nuit s’est passée sans incident pour nous. Le matin du 13 septembre 1944, nous commençons la journée par un accident ridicule. Theisen, le chauffeur de l’half-track qui a déposé sa mitraillette Thompson debout auprès de lui, chargée et armée, la fait tomber par un faux mouvement : une balle dans la cuisse, ce n’est pas grave. Il est aussitôt évacué et remplacé par Laurent, jeune engagé à Paris.
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Infos pratiques
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